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Ce qui est né le 29 mai doit-il mourir ?

par Gérard Deneux du collectif de Lure

samedi 17 mars 2007

Ceux qui assènent contre toute vraisemblance qu’il n’y aurait pas d’alternative possible sans rassemblement de toute la Gauche antilibérale, PC et LCR compris, et demain, peut-être, les dissidents d’un PS en difficulté…


Le 29 mai fut cette victoire inattendue, dans le cadre institutionnel, notamment de ceux qui avaient milité pour le NON au Traité Constitutionnel Européen. Malgré la formidable pression médiatique pour formater les esprits en faveur du OUI, ce vote négatif, dans le cadre d’un référendum plébiscite pour les partis institutionnels, a manifesté la preuve que le capitalisme libéralisé fait l’objet, particulièrement dans les couches populaires, d’un profond rejet. Est-ce dire pour autant qu’un projet de transformation sociale serait latent, potentiel, dans ce pays ? Qui peut raisonnablement prétendre, par ailleurs pour les opposer ou les conjuguer, que les luttes sociales qui se sont déroulées depuis 1995, soient porteuses de cette perspective ? Et que serait son contenu en terme de mesures favorisant l’émancipation ? Non, pour l’essentiel, nous en sommes encore à une phase défensive vis-à-vis des amputations subies du droit du travail, des protections sociales, des acquis sociaux. A aucun moment, la question du pouvoir, de la légitimité des salariés à diriger la société n’affleure. Qui plus est, les organisations dites d’extrême gauche ont comme intériorisé cette absence « d’utopie réaliste ».

Ceux qui prônent sur le mode incantatoire le recours aux luttes, leur extension sous la forme de la grève générale, occultent le poids réel, bien que de plus en plus remis en cause, de la pensée dominante qui inculque qu’aucune alternative n’est possible et réduit, par conséquent, les capacités d’auto organisation et d’auto émancipation. Imputer aux seuls appareils syndicaux et politiques la responsabilité et la capacité de casser les luttes, c’est manifester un mépris inconscient des masses qui seraient naïves, soumises, incapables de briser le carcan qui les étouffe. C’est minimiser à la fois le travail d’explication que ceux qui prétendent être à l’avant-garde, doivent patiemment fournir et surtout, le passage obligé par la pratique sociale et politique nécessaire pour faire émerger dans les classes populaires, le désir irréfragable d’en finir avec ce régime, tout en étant porteur d’institutions nouvelles et d’un projet de société.

Le vote plébiscite en faveur du oui au référendum sur le TCE que recommandait le système pour accélérer la mise sous tutelle « libérale » condamnait d’avance ceux qui prétendaient qu’une campagne d’explication, ô combien difficile, pouvait être comprise, reprise, discutée. Le cadre institutionnel, médiatique semblait suggérer que l’énergie dépensée en faveur du Non, l’était en pure perte. Et pourtant … Après ce vote négatif, ceux qui ne jurent que par les luttes ont affirmé que le mouvement des Collectifs allait s’épuiser puisqu’il avait atteint l’objectif qu’il s’était fixé. C’était omettre que le refus des politiques libérales toujours présent, l’émergence d’une frange militante décidée à poursuivre, sur la lancée, la construction d’un mouvement en rupture avec le PS, recherchant une alternative, tentaient de créer un espace politique autonome. Aujourd’hui, cette bataille idéologique semble a priori compromise quoiqu’à y regarder de plus près, des leçons peuvent en être tirées.

Certes, les forces politiques organisées (et en premier lieu, le PC) ont vite prétendu juguler le mouvement, s’en servir comme force de frappe instrumentalisée pour mieux disputer, sur l’échiquier électoral, des places au Parti socialiste. D’autres pensent encore que la voix royale, c’est l’entrisme au PS misant sur l’aile gauche de ce parti bourgeois. Ce sont les mêmes et d’autres qui furent surpris de la qualité de l’huile de synthèse hollandaise, rabibochant tous les prétendants socialistes au pouvoir (quelles que soient leurs baronnies) dans le cadre du système.

Certes, l’appareil du PC, dans sa majorité, cherchait à se faire adouber par les Collectifs- qu’il n’est pas parvenu à contrôler- et ce, pour mieux négocier des strapontins électoraux avec le PS. D’autres petits appareils entretiennent des illusions de même nature.

En tout état de cause, dans le mouvement des Collectifs antilibéraux pour une candidature unitaire, les divisions survenues, le refus de la candidature Buffet, sa campagne électorale « solitaire », l’émergence de la candidature Bové, hors appareil, sont porteurs de lucidité sur les objectifs réels poursuivis par les appareils, y compris vis-à-vis de ceux qui siègent sans légitimité ou s’en retirent momentanément et assènent contre toute vraisemblance qu’il n’y aurait pas d’autre alternative possible sans rassemblement de toute la Gauche antilibérale, PC et LCR compris, et demain, peut-être, les dissidents d’un PS en difficulté …

Il n’empêche, les débats, le rassemblement de ces Collectifs, et même les divisions en leur sein, sont le signe d’une appropriation politique de la part de nombreux militants hors appareil ou en dissidence avec leur organisation. Les mesures d’urgence sociale débattues, les 125 propositions discutées, quand bien même fussent-elles inspirées par la Fondation Copernic et le PC, ce socle bien imparfait dans sa dimension subversive, traduisent néanmoins l’émergence d’un processus de repolitisation important, dépassant le cadre défensif et « économiste » des luttes.

Dans cette partition cacophonique, la candidature Bové, boudée par certaines petites organisations, par le PC et la LCR, et pourvu qu’elle puisse exister et obtenir un score significatif, pourrait faire bouger les lignes. L’enjeu c’est bien l’existence, la structuration démocratique autonome, la persistance d’un espace politique qui, bien qu’hétérogène, soit le lieu de résonance, l’amplificateur des espérances populaires.

Dans les circonstances actuelles de faible traduction politique du refus du capitalisme libéralisé, la « guerre de position », pour parler comme Gramsci, que nous devons mener, consiste non pas à se fourvoyer dans des campagnes législatives, voire municipales, mais d’établir une nouvelle tranchée, débarrassée des scories illusoires d’une Gauche plurielle radicalisée à faire renaître, une tête de pont contre les appareils politiques de la bourgeoisie y compris le PS, qui soit un point d’appui pour les luttes sociales à venir, y compris dans leurs formes les plus primitives ou subversives dans les quartiers populaires. C’est en ce sens, me semble-t-il, que nous devons démontrer notre utilité. Il convient de descendre de son cheval ou de sa tour d’ivoire pour regarder les fleurs pousser, malgré les mauvaises herbes qui les recouvrent. Passer de la phase défensive à la phase de mouvement s’en prenant à l’Etat de cette 5ème République qui, en symbiose avec l’Union européenne, mène cette politique de régression sociale désormais honnie par des franges de plus en plus grandes de travailleurs, nécessitera certainement d’emprunter encore un long chemin tortueux. Le mouvement en cours revêtira, avant d’être véritablement porteur d’une réelle espérance révolutionnaire, les défroques d’un passé keynésien révolu. Quant à tout miser sur la spontanéité du « mouvement social » (d’ailleurs de quoi parle-t-on quand on fait référence à cette notion ?) il me semble que c’est se bercer d’illusions ou invoquer sous une autre forme le mythe du grand soir. Ce dont les luttes sociales ont besoin, c’est dans leurs rangs ou les épaulant, de milliers de militants porteurs d’un projet d’émancipation de l’Humanité, en symbiose avec les aspirations populaires et avec le degré de combativité réelle de la grande majorité des travailleurs, afin que celle-ci se convainque, par elle-même, de sa légitimité à gouverner pour le plus grand nombre.

Ce qui est né le 29 mai ne s’éteindra pas, quand bien même la division et la dispersion l’emporteraient, tel Phénix il renaîtrait de ses cendres, sous d’autres formes, avec plus de lucidité. Le capitalisme financiarisé, et la précarisation du salariat qu’il suscite, provoque lui-même sa propre contradiction.

Gérard Deneux du collectif de Lure, le 10.03.2007


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