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Dziga Vertov / Le ciné-œil de la révolution – Écrits sur le cinéma

dimanche 22 décembre 2019, par JLG

Pub pour un ouvrage qui m’est précieux et qui me semble très important pour la réflexion sur le cinéma et les médias.

Un ensemble de textes inédits et de nouvelles traductions pour redécouvrir la pensée du cinéaste d’avant-garde et théoricien soviétique Dziga Vertov, assortis d’un appareil critique et de nombreux documents iconographiques.

Édition établie par François Albera, Antonio Somaini, Irina Tcherneva.
En collaboration avec l’Österreichisches Filmmuseum de Vienne.


Dziga Vertov est à la fois très connu pour son film L’Homme à la caméra (1929) et mal connu tant son œuvre est profuse, multiple, éparse. À partir d’un choix de ses textes, soit inédits soit dont les traductions ont été revues et complétées, assortis d’un appareil critique permettant de les situer dans les débats de leur temps comme d’en percevoir les promesses pour le nôtre, cet ouvrage souhaite remettre en circulation la pensée vertovienne dans sa complexité. Sa tentative de saisir «  la vie à l’improviste », les « faits », afin de faire émerger une « Ciné-Vérité » fondée sur le regard appareillé du « Ciné-Œil » et le pouvoir analytique du montage, suit ici un parcours qui va des années 1910-1920 aux années 1930-1950, de son rôle de pionnier, en phase avec les événements politiques, à sa marginalisation progressive.
Le projet de Vertov de s’emparer des techniques d’enregistrement, de montage et de transmission d’images et de sons, afin d’«  organiser » la vue et l’ouïe des travailleurs et les faire participer au nouvel ordre social issu de la révolution de 1917, trouve de nos jours un nouvel éclairage dans la perspective d’une « théorie des médias  » qui étudie les articulations techniques des formes d’expérience et de connaissance.
Le volume est enrichi par de nombreux documents iconographiques provenant de la Collection Dziga Vertov de l’Österreichisches Filmmuseum de Vienne.

Le cinéaste soviétique d’avant-garde Dziga Vertov (David ou Denis Kaufman, 1896-1954), futuriste passionné par la captation et le montage des bruits, réalise, dès 1918 des journaux filmés (Kino-nedelia, Kino-Pravda) avant de passer à des « ciné-objets » de long métrage (Kino-Glaz, En avant, Soviet !, La Sixième Partie du monde, La Onzième Année, L’Homme à la caméra) et de contribuer à la mise en place d’un cinéma sonore inédit (Enthousiasme, Trois Chants sur Lénine).

Le Ciné-Œil de la révolution

Extrait de l’introduction à l’ouvrage par François Albera
La révolution permanente de Dziga Vertov

Les débats et les disputes auxquels participa Vertov avec ses contemporains, tant ses « ennemis lointains » (les cinéastes du « ciné-poison » de la fiction consolante et leurrante qu’il aurait voulu voir abolir) que ses « ennemis proches » (les factualistes qui se veulent plus radicaux que lui dans la littéralité, ou les « intellectualistes », comme Eisenstein, qui veulent le dépasser) –, ces débats sont plus que jamais actuels. Ils ne cessent de ressurgir, de nous éclater au visage : on veut montrer, mais comment le faire ? Puis il faut monter, et dès lors que montre-t-on, comment monte-t-on ?

La faveur dont jouit aujourd’hui le documentaire témoigne de l’actualité de ces débats même si l’on a perdu le plus souvent l’acuité de la réflexion en acte de Vertov et la vigueur de ses prises de position comme de ses ambitions quasi-cosmiques pour le cinéma. Il y a une virulence, une radicalité vertoviennes – comme d’Eisenstein ou de Brik – qui peuvent effaroucher le lecteur contemporain. Il écrit dans son « Journal » : « Nous avons beaucoup d’adversaires. On pourrait s’en passer. Cela ne nous empêche pas de mettre nos idées en pratique mais en revanche cela nous aguerrit dans la lutte et aiguise nos idées »... Ce vocabulaire de combat innerve tous ses écrits, toutes les controverses auxquelles il participe, toutes les ba-tailles qu’il engage. Ses convictions sont en effet liées à des enjeux politiques au sens le plus profond du terme : « faire voir » mais, en cela, changer le rapport de perception du monde des spectateurs,leur apprendre à voir, à développer une vision active qui soit susceptible de soutenir un rapport à l’autre – de solidarité, de compréhension, de coappartenance à une société qui veut être moteur de son histoire. Le cinéma documentaire (le plus souvent militant) retrouve une petite part de ces exigences et la référence à Vertov revient chaque fois que la pression des événements l’exige : la crise économique de 1929 en Europe (Ivens, Storck), aux États-Unis (Hurwitz, Strand, Lorentz), les guerres de libération d’après-guerre et les luttes anti-impérialistes (Ivens encore, Vautier, de Antonio, Alvarez), 1968 (Godard, Marker, Kramer), les années 1970-2000 entre contre-culture et luttes urbaines (Van der Keuken, Farocki)...

C’est pourquoi les textes, qu’on redonne enfin à lire aux lecteurs français dans leur intégralité et leur rédaction d’origine, gagnent beaucoup à être retrempés dans leur contexte et reliés aux controverses, tendances, polémiques où ils virent le jour, car ces discussions ne cessent d’inquiéter l’histoire du cinéma et plus encore notre présent. Vertov, à cet égard, n’a jamais cessé de « hanter » le cinéma puis la télévision et aujourd’hui les formes éclatées, pluralisées des usages des sons et des images – qu’il avait appelées de ses vœux. À première vue, nous semblons baignés dans un « vertovisme » généralisé : instantanéité, montage, collage, disparité, mise en réseau, reprises, répétition et variations, ces traits du cinéma de Vertov ont infusé les pratiques. Mais ce serait avoir une vision mutilée de leur auteur et de son œuvre que d’y voir des jeux formels, l’anticipation de la suprême habileté que les nouvelles technologies mettent désormais à la portée de chacun. Il est donc d’autant plus nécessaire, urgent, impérieux de mesurer à quelles exigences elles répondaient chez lui. Le contraste est alors saisissant. L’utopie vertovienne est celle d’une mise en communication généralisée des peuples de la terre dont, selon lui, procédera immanquablement un changement social, l’avènement d’une autre société. Cette vision, qu’il partage avec quelques visionnaires de son temps comme Élie Faure et Léon Moussinac – pour qui le cinéma ne nous a encore rien donné, qui est tout entier promesse d’avenir – fait de lui un théoricien des médias plus encore que du seul cinéma, fût-il « élargi ». Évidemment, le « retournement » de cette utopie en assujettissement généralisé via les appareils connectés qui, désormais, assignent à chacun de répondre sur le champ, à quelque heure du jour et de la nuit à son employeur, son associé, son client ou aux autorités de contrôle,de facturation, de localisation, en dit long sur la dilution du politique qui l’a rendu possible.

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