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Fête de l’Aid El Kébir (Niger) : Réjouissances des riches, cauchemar des pauvres

dimanche 21 janvier 2007

C’est sur fond de confusions de date que la communauté musulmane de notre pays a célébré, le dimanche 31 décembre 2006, la fête de la Tabaski, communément appelée fête des moutons ou, de son vrai nom, Aïd-el-kébir (Grande Fête). A Niamey, les fidèles du Prophète Mohamed (PSL) n’ont pas célébré le sacrifice d’Abraham de la même manière. La fête a été vécue de façon différente par les riches et les pauvres.


Voir en ligne : Alternative.ne

Samedi 30 décembre, veille de la tabaski selon le calendrier officiel. Il fait 15 h. Zakari fait le pied de grue chez Alhaj..., le boutiquier de son quartier. Il attend là depuis plus de deux heures de temps. Il veut juste un prêt de 40 000 f CFA pour s’acheter un mouton pour la fête. Depuis la formulation de sa demande, Alhaj n’a rien dit encore. Et Zakari ne comprend pas pourquoi. Ou bien il comprend trop bien. Les intérêts de 40% habituels ne conviennent pas à Alhaj cette fois-ci. Et Zakari hésite à aller aux 60%. Mais a-t-il le choix ? Il est simple ouvrier dans une usine de transformation de produit laitier. Son salaire tourne autour de cette somme... Mais sa nombreuse famille attend. Et il sait comme tout bon chef de famille que l’approche de cette fête donne l’occasion à de gros conflits. Gare à celui qui ne rapporte pas de mouton chez lui. La tension est très palpable dans certains foyers, car cela est ressenti comme un « déshonneur » par les femmes et mêmes les enfants. Zakari boit sa honte et dit à Alhaj : « Donne ! », « A 60% ! », martèle Alhaj ; « 0ui... » Zakari paiera donc près de 70 000 à la fin du mois. Par quel miracle ? Il ne veut pas le savoir lui-même. Fêter d’abord, le reste après... Ainsi, pour ce travailleur moyen, la tabaski a la couleur d’une dette à forts intérêts. Il n’est malheureusement pas le seul. Ils sont légion les fidèles musulmans qui sont dans ce genre de situation. Pour d’autres, la solution est ailleurs. Boubacar, un enseignant qui avait gagné l’année dernière 100.000 f CFA au Pari mutuel urbain (PMU) a retenté sa chance. Malheureusement, cette année la moisson n’a pas été bonne pour lui. « Je n’étais pas le seul à espérer décrocher le prix d’un mouton grâce aux chevaux », a-il indiqué. Il continue dans ses propos en parlant de la longue file des nouveaux parieurs qui s’étire devant le kiosque du PMU, une semaine avant la fête. Dimanche 31 décembre. La Tabaski prend différentes formes en fonction des quartiers. Et pour dire la vérité, elle est presque imperceptible dans certaines zones, notamment celles des démunis.

Les pauvres « fêtent » à leur façon

Dans les taudis de la zone Ceinture Verte et dans ses ruelles tortueuses, tout est calme. Les habitants ont juste pour la plupart été à l’Aïd, la prière collective de la matinée du jour de la fête. Pour le sacrifice, point. Les familles se contentent des petits poulets difficilement obtenus la veille pour faire la sauce. Pas de carcasses de mouton donc, encore moins de flambées parsemant les rues. D’ailleurs, à 12h, les cases se sont vidées. Hommes, femmes et enfants regagnent les quartiers des ‘’riches’’ aussi ; soit pour offrir leurs services, soit pour chercher l’aumône. Aux environs de 14H une partie d’entre eux rentrent avec des sachets remplis d’entrailles de moutons, de victuailles, de peaux et têtes des bêtes égorgées. A ce moment seulement, la fête peut alors commencer pour ces pauvres. Mais ce jour-là, on n’entendra pas les tambours qui animent les soirées délassantes de ces habitants après le dur labeur de bonnes ou porteurs au service des autres. Pour ce jour de fête, les artistes de fortune célèbrent la joie de vivre en faisant la quête dans les demeures des nantis à l’occasion de cette fête. On observe juste les va-et-vient des acheteurs de peaux entre ces cases. Devoir religieux oblige : on vend rien de ce qu’on sacrifie ; on donne aux pauvres ce dont on garde pas. Voilà pourquoi beaucoup de peaux atterrissent là. Pour le bonheur de ces habitants...

A Koira Tégui, l’atmosphère est juste légèrement différente. Les concessions de ce quartier-refuge pour beaucoup de pauvres, mendiants ou handicapés, jouxtent quelques maisons bien loties. Outre les sacrifices observés dans ces dernières, plusieurs des familles pauvres se regroupent autour d’un taureau offert par des structures caritatives. Certains aussi ont la chance d’avoir un mouton grâce à la générosité de quelque riche ou grande personnalité. C’est le cas de Moussa par exemple qui a égorgé un gros mouton qu’un député de sa région lui a gracieusement offert.

Jongleries chez les salariés

Chez les fonctionnaires moyens, c’est toute une autre histoire. Très triste en vérité. Il n’y a qu’à voir leur désarroi devant les prix des moutons cette année. Les autorités n’ayant pris aucune mesure pour sécuriser le pouvoir d’achat des plus pauvres, les prix ont culminé jusqu’au seuil des 150 000 f CFA, excluant du coup les salariés moyens de la course. Jusqu’au dernier moment, beaucoup d’entre eux ont espéré un effondrement des prix à la veille de la fête. Mal leur en a pris... C’est donc avec le dépit, et non le mouton gras, qu’ils ont fêté. Leur dépit est d’autant plus grand qu’ils ont régulièrement sous les yeux la « débauche » des billets de banque jetés comme sous forme de pluie par nos gouvernants lors des manifestations partisanes ou autres. Pour un nombre, très limité de fonctionnaires, éparpillés dans certains quartiers plus ou moins cossus, la fête s’est relativement bien passée. Ils ont pu supporté le pic de la somme annoncée plus haut. A 14h déjà, les moutons, tués et dépecés rôtissaient déjà autour des feux. A vue d’œil, on peut déduire que le nombre de carcasses reflète assez raisonnablement la densité de la population. Dans des zones comme le quartier Kouara Kano, plateau, Cité Fayçal, ...on note plutôt un surnombre de moutons égorgés par rapport à la population résidente. C’est à croire que tous, femmes, enfants, boys et gardiens compris, ont eu leur mouton de sacrifice. La fête a vibré au rythme des crépitements des flambées devant les maisons. La musique et les sons des tam-tams des griots (ceux des quartiers périphériques) retentissent de tous côtés. Les plus bourgeois sont confortablement assis dans des fauteuils en attendant les premiers morceaux cuits et observent les bouchers qui manient avec charme le travail de la viande. Dans ces quartiers chics, la rumeur parle de 5 à 10 moutons de plus de 150.000 FCFA égorgés par certains gros dignitaires. Les moutons gros et gras, exposés autour de la fournaise et donnant au passant l’envie de goûter cette bonne chair sans être invité, ne peuvent démentir cette rumeur. Il est simplement intéressant de savoir d’où vient tout cet argent qui a servi à payer ces moutons. Cette gabegie suffit à elle seule à démontrer l’absence d’une distribution équitable des richesses du pays. Le fonctionnaire qui, dans le temps aidait ses proches démunis, ne peut plus le faire de nos jours avec un salaire dérisoire absorbé par la cherté de la vie. Et toute cette misère découle du simple fait que ceux qui sont aux ‘’affaires’’ notamment les ministres, les députés et tous les autres parasites tapis dans les méandres du pouvoir confondent leurs poches avec les recettes payées par les pauvres ménagères étalagistes de nos marchés. Il n’y a rien d’étonnant que ces princes qui nous gouvernent égorgent des moutons gros et gras pour narguer le pauvre citoyen. Pour la plupart, la Tabaski n’est que l’occasion de mettre en évidence les richesses mal acquises et de tirer un prestige social. Course à l’image qui, selon les responsables religieux, est en contradiction avec l’humilité et la modestie souhaité en pareille circonstance.


Une « aubaine » pour les pauvres

Avec un revenu journalier de moins un dollar par jour tous les Nigériens ne peuvent se procurer un mouton. Pour la grande majorité de ces pauvres, le seul moyen d’obtenir un morceau de viande est de se poster devant les portes des maisons des plus riches, qui, selon la religion, doivent en distribuer une partie aux pauvres. Kallamou, maçon de son état et père de 6 enfants, rencontré au lendemain de la fête, n’a pu offrir à sa famille le mouton de Tabaski. En bon musulman, il ne se plaint pas. Car, le lendemain de cette fête, il fait « le porte-à-porte » avec son sac en bandoulière et récolte les aumônes de viande recommandée par l’islam : le tiers du mouton aux pauvres... Kallamou n’est pas le seul à faire le porte-à-porte pour recevoir ces aumônes. D’ailleurs, d’autres, plus stratégiques encore que lui, pour avoir une bonne part de ces aumônes, aident leurs voisins dans tout le processus de la préparation du mouton, du dépècement jusqu’au rôtissage. Les pauvres trouvent avec la Tabaski une bouée de sauvetage. Mieux les portes ‘’des riches’’ leurs sont grandement ouvertes et la viande cesse au moins pour un court temps d’être un aliment de luxe. Situation très paradoxale dans un pays qui regorge le plus important cheptel de la sous région et où l’élevage est la deuxième mamelle économique. L’on comprend donc que, malgré tout, beaucoup de nos concitoyens vivant dans le dénuement se réjouissent de l’arrivée de la fête de Tabaski. Elle est l’occasion pour les plus démunis de manger, pendant au moins une semaine, de cette viande qu’ils ont rarement l’occasion de goûter le reste de l’année. Pour la bonne raison que le kilo coûte 2000 F CFA, tarif très au-dessus de leur bourse...

Souleymane Maâzou, janvier 2007


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