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José Bové à Argenteuil...

Petit exercice de lecture de presse... Comment construire une image ?

vendredi 23 février 2007

Par Sabine

Un fait : José Bové est allé mardi 20 février à Argenteuil.
Deux articles :
" JOSE BOVE, "L’ANTI-SARKO",DANS LES CITES D’ARGENTEUIL " dans les journaux abonnés aux dépêches de l’agence Reuters : Nouvelobs, La Tribune, Le Monde, Capital , Boursier...
"LES GENS ICI, C’EST PAS DE LA RACAILLE" dans Libération.


Voir en ligne : Source : Candidatures unitaires 31

Libé attaque dès le sous titre : on apprend que « sur la dalle d’Argenteuil, les habitants attendent surtout de voir venir Nicolas Sarkozy » !

Que veut nous montrer Libé ?
D’après la journaliste, la candidature de Bové n’intéresse personne, ni les habitants des banlieues, ni les journalistes, pas même les flics ! L’article accumule les expressions tendant à montrer le peu d’importance numérique du groupe et la prétendue indifférence du public : " la petite troupe ", " une mini cohorte de journalistes ", " personne ", " pas un chat, ni dans les rues, ni aux fenêtres ". Medhi Lallaoui, " le responsable local du comité de soutien " de Bové qui l’" accueille "à Argenteuil dans les autres articles est totalement oublié par Libé, ainsi que les " habitants [qui] viennent spontanément dire au syndicaliste leur colère ". " La nuée de gamins qui l’accueillent aux cris de "Bové président" ou "Libérez José Bové" dans les articles du groupe Reuters deviennent "quelques gamins " dans l’article de Libé. Quant aux "adolescents " avec qui " le syndicaliste discute longuement", ils n’existent tout simplement pas. Ils ne font pas recette pour le quotidien qui ne comprend que le spectacle politique.

Le point sur lequel tous les journaux s’accordent, c’est l’absence de la police : " Zéro forces de l’ordre ", annonce Libé. Mais selon le groupe Reuters, Bové a " évité soigneusement toute présence policière ".On peut se demander comment Bové a fait pour réussir un tel tour de force !
J’ai dû me tromper, c’est lui le ministre de l’Intérieur qui dirige les forces de police ! On peut quand même relever que non seulement les journaux nous informent sur ce qui se passe mais en plus sur ce qui ne se passe pas mais qui, selon eux, aurait dû se passer.
Autre précision intéressante de Reuters : " José Bové s’est rendu en toute liberté à Argenteuil". En contexte, cela semble vouloir dire qu’il est "l’un des rares prétendants à l’Elysée à pouvoir se rendre tranquillement dans cette cité d’Argenteuil ", mais pour ceux qui auraient oublié qu’il est sous le coup d’une condamnation, voilà une petite piqûre de rappel …

Comment la journaliste de Libé interprète-t-elle la visite de Bové et de son équipe à Argenteuil ?
"Pipe à la bouche, mains dans les poches, Bové déambule dans les allées". " La petite troupe chemine à travers les immeubles." Elle semble décrire une promenade. Comme si cette visite," en train, sans gardes du corps ni armada télévisuelle ", n’avait pas de sens pour elle. Comme si aller tout simplement à la rencontre des gens n’était pas une démarche politique signifiante .
" Le groupe s’arrête". Mais pas au bon endroit ! "C’est là que Sarkozy a osé insulter les jeunes de banlieue", affirme Hamri. Une fillette proteste, non c’est plus loin. Redépart. Un autre immeuble : "C’est exactement ici." Pour la journaliste, professionnellement, le lieu précis d’un événement a du sens. Ne pas s’en rappeler est interprété comme un signe de faiblesse, un manque. Tout est présenté selon son point de vue à elle. Mais en quoi le lieu précis est-il essentiel pour les habitants ? Le rapport à la langue lui aussi manifeste un point de vue de classe : "On nous "schématise" [sic] pour des gens violents », se plaint un homme ", ironise la journaliste. Pourtant, il a raison ce monsieur : c’est bien de schématisation et de stigmatisation confondues dont sont victimes les habitants de banlieue. Ce qui dans un autre contexte aurait été compris comme une trouvaille langagière est ici analysé comme une incapacité à communiquer correctement.

La stratégie argumentative de Reuters est plus subtile.
L’article crée une image positive et active de Bové : il "lance", "avance", "dénonce", "attaque" ; il "dialogue ", "répond " et "souligne", "suggère" et " conseille ", se "défend". Il prend partie personnellement. Bref, il communique ! Ses interlocuteurs ont aussi un discours cohérent et argumenté. Ils ont des noms, des âges, des identités sociales à l’opposé de l’indifférenciation à laquelle les condamne Libé : "une voix ", un " on ". Mais à ce jugement positif , le journaliste oppose ce qu’il présente comme un constat de fait, qui ne nécessiterait pas d’explication, les résultats des sondages. La petite phrase " le responsable altermondialiste est crédité de 2% à 3% des intentions de vote dans les sondages "est d’ailleurs mise en valeur par un isolement typographique. Il s’agit donc de présenter impartialement un « petit » candidat. Ce qui est oublié ici, c’est la responsabilité des médias dans la distribution des cartes du politique. C’était pourtant la grande leçon de 2002. Les médias ont la mémoire courte. Pas nous .

Pour Libé, la communication entre un candidat à la présidence et les gens des banlieues n’est pas égalitaire et ne peut pas être conçue comme telle : la journaliste interprète les intentions de Bové "en campagne", il " précise […] à l’intention de ceux qui n’ont pas compris ". De même, l’activité d’un candidat à la présidentielle n’est pas de rencontrer et de dialoguer, c’est de "présenter des plans ", de "déclarer" et de " promettre ". Qu’"on peut créer de nouveaux métiers ", la " régularisation de tous les sans-papiers", et "le droit de vote pour les étrangers".
En outre, ce que je trouve amusant ici, c’est que Libé arrive à vider le programme de la candidature Bové de son contenu et hormis le droit de vote pour les étrangers, à construire une image de Bové comme imitateur du programme du PS ! Ségolène prétend ne pas voir de contradiction entre croissance libérale et écologie : l’écologie ouvrirait à elle seule de nouveaux marchés. Pas besoin de lois sociales ! En ce qui concerne la régularisation des sans-papiers et l’abrogation des lois Pasqua-Debré, il est vrai que ce n’est plus d’actualité pour le PS, c’était une des promesses de Jospin en 1997 lors de la campagne des législatives . Alors les promesses…
Le principe de l’article semble être de tout juger à sa propre aune et selon sa conception de la politique.

Ce qui apparait aussi, c’est que, pour Libé, le maître du jeu, c’est Sarko. Il est " attendu par les habitants des banlieues " d’après le sous-titre. Dans quel but ? l’article ne le dit pas. Pourtant " des jeunes [lui] déconseillent de revenir sur les lieux " d’après Reuters. Dans le mode de pensée dominant, apprécié ou détesté, l’important c’est qu’on parle de vous ! Libération ne conçoit pas que la campagne de Bové puisse se construire selon d’autres fonctionnements que celui de la réponse et de la stratégie politiciennes. Selon l’article, si Bové est venu à Argenteuil, c’est parce que c’est là que " Nicolas Sarkozy a promis en 2005 d’en chasser la "racaille". S’il y venu à cette date, c’est pour couper l’herbe sous le pied de Sarko.

C’est toujours amusant et intéressant d’analyser des articles, surtout quand on peut les comparer. Mais Le but de ce texte n’est pas d’opposer un "bon journalisme" et un "mauvais journalisme". Le retournement de veste de Libé, c’est de l’histoire ancienne et c’est vrai qu’il ne reste plus à gauche aucun grand quotidien national hormis l’Huma. Alors la seule stratégie qui me semble efficace maintenant, c’est de continuer à fabriquer notre propre info et notre propre com. Des tracts, des affiches, des sites, des journaux papiers, des télés sur le web et la freebox, des radios...
A nous de bosser, d’écrire, de diffuser.

L’article de Reuters sur le site de l’Express

L’article de Libé

En prime une vidéo : José Bové à Argenteuil, sur la dalle, à l’endroit précis où Sarkozy parlait de racaille.


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