KINOKS

ni un journal ni un blog

Accueil > REALISATIONS > Scénario d’un projet de film avorté : "Le conseil municipal" - Toulouse (...)

Scénario d’un projet de film avorté : "Le conseil municipal" - Toulouse 2003

dimanche 25 octobre 2009

Ce scénario n’est pas la version définitive (je ne la retrouve pas). Il a été écrit dans le but de rechercher un financement donc il ménage la chèvre et le choux. Une partie avait déjà été tournée, mais il restait beaucoup de travail.
Vu l’importance du sujet et les discours des uns et des autres, naïf, je m’attendais à ce que ce film soit subventionné. Et non, même la commission technique de la région Midi Pyrénées (de cette époque) a refusé sous le prétexte que je n’obtiendrais pas les autorisations de tournage (de quoi elle se mêle : ce n’est pas de son ressort mais celui de la production). Pourtant j’avais déjà réalisé les longs entretiens avec les personnalités de la droite (Moudenc, de Veyrinas, Douste...).
Ce film était co-produit par feu Zalea Tv, Tv Bruits et l’association La Trame.
Il n’a pas vu le jour.

A le relire, je trouve qu’il a valeur de mémoire. Est-ce que le conseil municipal de Toulouse, avec la nouvelle équipe à majorité PS, a changé de fonctionnement par rapport à cette époque là où la majorité était à droite ?


Résumé

Lors des campagnes pour les élections municipales 2001 à Toulouse, tous les programmes politiques en présence, entraînés par les débats provoqués par la dynamique de la liste Motivé-e-s, manifestaient l’intention de tendre vers plus de démocratie dans la relation entre la mairie et ses habitants.
Ce film montre le déroulement d’un conseil municipal aujourd’hui (2003). Il en questionne les compétences, la préparation, le fonctionnement et la façon dont sont prises les décisions.
Derrière les apparences, ce documentaire cherche à creuser et à définir le rapport de cette instance avec le citoyen. Pour y parvenir, il part à la recherche des outils mis en place depuis ces dernières élections pour répondre à cette promesse électorale.

Scénario

Dans le scénario, lorsque je parle de « récurent » cela sera une juxtaposition de courtes phrases dites par différentes personnes. Dans l’écriture qui suit, je n’y ai pas inscrit toutes les personnes que je désire rencontrer ni tous les sujets qui seront abordés.

I) Introduction

Les toits de la ville rose paraissent au repos, cheminées et antennes dressées, liées, entre ciel et terre.
Le marché des quartiers populaires de la Faourette et de Bagatelle : entre les allées de commerçants, des personnes cheminent ou achètent. Certaines sont habillées de djellabas.
Une grande place de béton est attaquée par les bulldozers : la dalle de Bellefontaine au quartier du Mirail.
Des passants défilent anonymes, en plein centre ville, rue Saint Rome.
A un carrefour, des engins creusent la future ligne de métro.
A un arrêt de bus, des gens attendent. Un musicien, peut-être roumain, joue de l’accordéon, un vieux chapeau posé devant lui.

Voix anonymes en « off » d’habitants sur qu’est-ce qu’une mairie pour eux ?

La Garonne s’écoule sous le pont Neuf. Elle charrie de la terre, du bois et son histoire. Des mouettes semblent la narguer.

Brève présentation du rôle d’une mairie par le maire de Toulouse ou par l’un de ses premiers adjoints :

Une mairie, c’est d’abord des élus, qui ont été choisis démocratiquement par les habitants de la ville, auxquels les habitants ont donné la responsabilité de la gestion de la ville. Une gestion de proximité, économique. D’un développement économique mais aussi une gestion sociale… Pour être plus simple une gestion d’une municipalité commence par la rue, par le transport, elle va continuer par…

Les signes du zodiaque sont tatoués, gravures dorées, sur une immense place carrée.
C’est la place du Capitole : l’Hôtel de Ville de Toulouse avec ses drapeaux qui se balancent tranquillement à l’un de ses balcons.

Titre : Le conseil municipal sur fond noir.

II) Le début du conseil municipal, dispositif et atmosphère

La chronologie de ce début de conseil municipal est respectée dans la construction du film.
Plus tard, dans les parties suivantes, je m’en écarterai. Une séance dure environ six heures et son déroulement est très répétitif. J’ai choisi de montrer les passages clés, ceux qui permettent d’en appréhender le fonctionnement mais aussi de construire ma dramaturgie. A certains moments je n’en présenterai que des instants assez brefs pour focaliser l’attention sur des personnes que j’interviewe dans le film, sur certaines paroles, sur des comportements, sur l’ambiance.

Ce qui suit est inspiré par la séance du 8 novembre 2002 :

L’entrée dans la salle du public, des journalistes, des conseillers municipaux, du maire, les poignées de mains, les politesses, les sourires entre ceux qui se reconnaissent, les attentions obligées, les regards, les connivences, les égards… ; la salle est sombre et grande, ses murs sont tapissés d’immenses tableaux, beaucoup de boiseries ; sous un portrait de Marianne, une série de fauteuils domine les alignements de tables qui lui font face.

En parallèle aux images précédentes, il y a celles des techniciens, attentifs et concentrés ; ils déposent sur les tables, place attribuée à chaque conseiller municipal, des feuilles de papiers reliées par des agrafes ou de gros dossiers, ce sont les PV de la séances précédentes ; Madame Visentin, femme d’âge mûr, chef de service à l’organisation du conseil municipal, vérifie certains de ces volumineux dossiers cartonnés.

Mme Visentin, assise dans son bureau à la mairie, nous parle de l’importance de ces dossiers :

Ce sont les PV des délibérations. Les délibérations sont l’objet du conseil municipal qui est organisé autour d’elles. C’est important car au-delà de ces feuilles dactylographiées et agrafées, qui sont soumises au vote, c’est le développement de Toulouse qui est en jeu, son avenir, la vie de ses habitants. Une fois votées, ces délibérations sont mises en exécution.

Juste sous Marianne, M. Douste-Blazy s’assoit sur une sorte de trône, à ses cotés s’installent ses adjoints, sur sa droite : Mme Hébrard de Veyrinas et M. Moudenc ; le conseil démarre immédiatement, le maire nomme un secrétaire de séance et il est procédé à l’appel nominal des élus, appel dit rapidement de manière monocorde et accompagné d’un grand brouhaha ; des journalistes en profitent pour finir de mettre en place leur caméra face au maire.

Le maire reprend la parole, remercie les enfants d’un collège privé venus là en spectateurs, puis il se lance dans un long exposé général (qui dure environ une trentaine de minutes dans la réalité) :

Mesdames, Messieurs,
Le 21 septembre 2002, nous avons commémoré solennellement l’anniversaire de l’explosion de l’usine AZF.
Comme je l’ai fait le 22 mars et le 21 juin 2002, je vous transmets une délibération faisant le point de toutes les actions conduites par la ville de Toulouse pour tenter d’atténuer, pour les sinistrés, les conséquences de cette catastrophe…

Les élus trient les feuillets posés devant eux ou les annotent, d’autres discutent, d’autres encore semblent rêver.
On perçoit mieux la disposition de la salle : à une extrémité, le maire et ses adjoints font face à une sorte de grand fer à cheval allongé, ce sont les tables des élus de la majorité.
Celles-ci paraissent encercler les élus de l’opposition qui sont installés au milieu.
La caméra s’attarde sur les personnes que j’interviewe dans le film.

Mais au préalable, je voudrai évoquer la situation encore très préoccupante des victimes de dommages corporels…

Une élue de l’opposition, dans le local de son groupe. Elle est assise devant des étagères pleines de classeurs :

Elle nous raconte sa perception de ce dispositif, de cette encerclement. Ce n’est pas facile d’y intervenir, avec des élus de la majorité dans le dos, sans voir tout le monde. Surtout en cas de chahut. Et puis il y a aussi les problèmes de sonorisation : il y a peu de temps, c’était le maire en personne qui appuyait sur les boutons qui ouvraient les micros des intervenants. Parfois il « oubliait » cette fonction qui lui incombait ou l’accomplissait avec un certain retard. Aujourd’hui, c’est un DJ, un technicien, qui est chargé de cette tâche mais il y a encore des problèmes.

Dans la salle du conseil municipal, le maire poursuit. Il s’agit là de signifier brièvement la diversité des sujets abordés mais aussi la tonalité et la phraséologie de M. Douste-Blazy. J’utilise des fragments courts reliés par de petits fondus au noir pour montrer les coupes :


Enfin, pour le Palais des Sports l’appel à un économiste a montré que les travaux coûteraient aussi chers que la démolition et la reconstruction pure et simple…

Tout à l’heure je vous demanderai de lancer la procédure pour construire un casino, j’avais donné deux sites dans la délibération, aujourd’hui je vous propose d’en mettre un troisième à l’étude. Il s’agit de l’île du Ramier…

Je suis défavorable à la construction d’une station multimodale à la caserne Niel, à cause des désagréments posés par un parking pour les voitures, à cet emplacement ; j’ai rencontré les habitants, ils m’ont fait part…

Dans le domaine de la petite enfance je vous proposerai de signer à nouveau un contrat avec la CAF…

Je vous proposerai également de créer vingt emplois municipaux chargés de surveiller le stationnement, des emplois jeunes…

Je passe maintenant à d’autres points.
Vous savez que le grand Toulouse s’agrandit, nous aurons donc a désigner quatre représentants supplémentaires.
En ce qui concerne la démocratie de proximité, les premières réunions des commissions consultatives de quartiers se déroulent de manière très prometteuses. Nous aurons également à nous prononcer sur quelques modifications : Laurent Cuzacq prendra la place , en tant que maire délégué de quartier, de son collègue Christian Raynal et Jean-Luc Moudenc prendra la place de Laurent Cusacq, en tant que maire délégué de quartier de Saint Agne…

Dans son local, un élu de l’opposition installé devant une affiche publiée par son groupe nous parle de la prime à la majorité :

L’attribution du nombre de sièges lors des élections municipales n’est pas directement proportionnelle aux résultats. Je m’explique : si une liste fait 51% et l’autre 49 %, la majoritaire aura dès le départ une prime qui correspond à la moitié des sièges disponibles, par exemple sur 100 elle en aura d’office 50.
L’autre moitié sera attribuée à la proportionnelle. Dans mon exemple, au bout du compte, cela donnera environ 75 sièges à la majorité et 25 pour la minorité. Dans ce cadre, comment une minorité, qu’elle soit de gauche ou de droite, peut peser sur l’orientation d’une municipalité ?

Mme Hebrard de Veyrinas, adjoint au maire, dans un bureau de l’Hôtel de Ville. Derrière elle, accrochée au mur une vue aérienne de la ville de Toulouse :

Le rôle d’un conseil municipal, c’est celui de présenter les orientations qui vont être prises. C’est un lieu de présentation officielle et publique de telle ou telle orientation que l’on va prendre. Et à partir du conseil municipal, il doit y avoir débat pour savoir si on est d’accord ou pas d’accord et puis on vote. Et c’est le vote qui donne de la force à la délibération qui devient exécutoire après le conseil municipal.

Dans la salle du conseil, M. Douste-Blazy termine son intervention :

… métro et si je sais que les toulousains sont agacés par ces travaux, je sais aussi qu’ils savent également que ces travaux sont là pour préparer l’avenir.
Alors en vous priant de m’excuser pour cette exposé qui est plus long que d’habitude, je vous remercie de votre attention.

Salve d’applaudissements dans les rangs de la majorité.

Alors, y a t’il des interventions suite à cet exposé de présentation ?
Donc pour le groupe Gauche Plurielle moins le groupe des élus Communistes, quelle est la personne ? Il y a un orateur par groupe ! Lequel ?
Pour le groupe Communiste je vois… c’est madame Fontes. Madame Rivière pour le groupe Motivé-e-s, très bien… et madame Bénayoun-Nakache pour le groupe Socialiste, non… Gauche Plurielle, pardon, moins les élus du groupe Communiste… Vous m’expliquerez …
Bon alors allez-y !
Madame Benayoun-Nakache ?

Mme Benayoun-Nakache :
Seulement pour vous dire que nous sommes une équipe et que nous interviendrons chacun, chacune, à notre tour sur chaque délibération.

Le maire :
Très bien, madame Fontes ?… Madame Fontes ?

III) Les délibérations du conseil municipal

Les délibérations, ce sont ces feuillets dactylographiés qui recouvrent et encombrent les tables des élus du conseil municipal.
Leur mise à débat et leur vote se passent toujours à peu près de la même manière.
Le maire les présente par blocs, la une et la deux, ou bien, de la 82 à la 108… Ce qui les relie, ce n’est pas la proximité des sujets abordés mais de quel adjoint au maire ou simple conseiller municipal de la majorité elles dépendent.
Dans leur présentation au conseil municipal, ces blocs ne sont pas toujours introduits.
Quand ils le sont, c’est le plus souvent le maire qui le fait, parfois l’élu qui en a la responsabilité. Alors, il n’est pas forcément question de toutes les délibérations mais de l’une d’entre elles.
D’abord le maire demande à l’opposition s’il y a des intervenants.
Ceux-ci s’inscrivent, comme à l’école des doigts se lèvent, certains avec insistance avant d’être pris en compte : untel pour la 82, unetelle pour la 86…
Puis M. Douste-Blazy, souvent en se jouant de l’apparente division de la minorité, distribue la parole.

Lors de ces différentes interventions, dont certaines sont chahutées bruyamment, on a l’impression que peu de personnes les écoutent réellement : des élus jouent avec leur portable, certains lisent la presse, d’autres discutent ou se passent des petits papiers, des coups d’œil sont échangés, les plus nombreux, avec l’air perdu, trient encore leur tas de délibérations car l’ordre du jour a été modifié en début de séance, sans oublier ceux qui baillent aux alouettes ou qui s’endorment.
Pour attirer l’attention, certains intervenants font des jeux de mots ou lancent des piques.

C’est principalement le maire, alternant le « je » et le « nous », qui répond à chaque intervenant.

Puis les délibérations sont soumises au vote rapidement, c’est assez surprenant et alors on a du mal à comprendre ce qui se passe.
Les différents groupes de l’opposition ne se prononcent pas d’une même voix. Ils peuvent avoir des avis différents.
Chaque fois qu’une délibération est votée à l’unanimité, M. Douste-Blazy sur un ton paternel dit : c’est bien.

En général pour un spectateur, qui n’en a pas lu le texte, il est très difficile d’en saisir le contenu pendant la séance. Nous ne connaissons de certaines délibérations que le numéro.
Par contre, à travers toutes ces interventions et les réactions qu’elles provoquent, on peut appréhender la logique des différentes démarches.

Je ne prendrai que les extraits qui me paraissent significatifs. Toujours, la coupe, l’ellipse, sera marquée par un léger fondu au noir.

Plusieurs interventions de l’opposition portent sur le fonctionnement du conseil municipal :

Il n’y a pas de calendrier, les séances sont trop espacées, les délibérations arrivent tard, alors que l’on a demandé qu’elles soient accessibles sur internet bien avant, l’ordre de la discussion peut changer au dernier moment, il n’y a pas de grands débats portant sur des questions essentielles, la population n’est pas consultée…

Parallèlement à ce déroulement j’interroge, dans leurs locaux ou bureaux respectif, des élus et leur collaborateurs techniques.

Mme Hebrard de Veyrinas, dans son bureau à l’Hôtel de ville :

Les délibérations ? On arrive pas au conseil municipal comme ça, on ne les découvre pas. Elles ont tout un cheminement à l’intérieur des services de la ville et aussi des lieux de l’ensemble des connaissances des élus.
Alors, on va faire un peu le parcours d’une délibération, nous allons prendre par exemple euh… qu’est-ce qu’on pourrait prendre ? La construction d’une école !
On décide pas comme ça, à brûle pour point, on va construire une école. Tout d’abord on a une monté des besoins. A travers l’écoute qu’on a des habitants, à travers les observations de l’académie et à travers du service scolaire qui dit : écoutez là il y a besoin d’une école nouvelle car le nombre d’habitant a augmenté, parce que l’école déjà existante ne suffit plus… On va donc dire : il faut étudier l’ouverture, la construction d’une école nouvelle.
Les services techniques au coté d’élus vont se pencher pour avoir toutes les données. On va rencontrer des responsables, des habitants. Faut voir si c’est une nécessité.
Si c’est le cas, on va pouvoir présenter cela à la commission des affaires scolaires.
La commission des affaires scolaires est composée des élus de la majorité mais aussi de la minorité. Tout le monde est représenté. Là on dit : voilà dans tel quartier il y a la nécessité de construire une école ; on pourra la construire, en fonction du budget, cette année ou l’année prochaine. On cale, autrement dit, le projet.
A ce moment là, à la commission des affaires scolaires, il y a un débat très large. On dit on est d’accord pas d’accord, elle est assez grande… Il faut aller vite, moins vite ? Débat dans la commission avec les élus mais aussi avec le service technique.
Ensuite le dossier sera retenu et passera en commission des finances. La commission des finances se tient avant le conseil municipal et l’ensemble des délibérations passe dans cette commission. Là, on est à une étape qui est déjà beaucoup plus finalisée. Le dossier de création de cette école passera au conseil municipal. Où là, la responsable des dossiers scolaires présentera le dossier…

Le récurrent dans l’opposition :

Il y a beaucoup de délibérations, entre deux cents et quatre cents par séances. Souvent les plus importantes arrivent quelques jours avant. Il faut tout trier surtout que régulièrement leur ordre est changé au dernier moment. Parfois c’est le contenu d’une délibération elle-même que l’on retrouve avec des modifications sur notre table le jour du conseil.
Comment faire pour les consulter et les analyser dans un temps si bref surtout que l’on a notre boulot à coté ?
Comment dans ce cas pouvoir mettre au courant les associations sur telle ou telle délibération qui les concerne pour pouvoir faire remonter leurs avis ? Nous sommes là pour ça, c’est notre rôle.
Et puis on n’est pas des spécialistes en tout, il faut faire appel autour de nous à des personnes ressources…

Une élue (groupe Motivé-e-s) :

D’ailleurs je ne veux pas être une spécialiste. Au bout de deux ans de mandat je m’aperçois à propos du conseil, qu’il devient plus facile pour moi de discuter avec un élu de la majorité qu’avec un militant associatif ! Cela m’amène à me poser des questions sur mon rôle.

Mme Hebrard de Veyrinas, adjoint au maire, dans un bureau de l’Hôtel de Ville. Elle est assise devant une vue aérienne de Toulouse :

Je comprends que pour une personne qui travaille c’est très difficile de participer à un conseil municipal. Si on veut le faire sérieusement cela prend énormément de temps et on est pas payé pour cela. Faut faire des choix. Moi-même je suis sur plusieurs secteurs et je suis maire délégué sur deux quartiers, je suis aussi député européen, mes journées de travail sont longues…
Heureusement pour nous, quand on a à charge une délégation, un projet, heureusement que l’on est aidé par des techniciens qui élaborent et rédigent ces délibérations à partir des besoins et de notre écoute de la population. Nous, on les discute et les on avalise.
Et puis avant les conseils municipaux, il y a les différentes commissions techniques où toutes les délibérations passent. Les élus de la minorité y sont invités. Bon, c’est vrai, nous sommes plus nombreux et nous pouvons plus facilement nous répartir les tâches…

Un élu de la minorité :

Les commissions techniques ? J’en sors d’une justement… C’est une chambre d’enregistrement, on n’ a même pas accès aux documents préparatoires pour pouvoir juger sur pièces. Par exemple lors de l’attribution de subvention à une association, on n’ a pas le dossier de demande ni ses statuts. Et puis là aussi, dans ces commissions, notre avis est repoussé d’un revers de la main.

Une autre :

Je crois qu’avant tout cela permet à la majorité d’anticiper nos réactions au conseil municipal et de préparer ses réponses.

Un collaborateur technique de l’opposition :

Les premières délibérations du conseil municipal sont pour provoquer un effet médiatique autour du maire. A ce moment, les médias sont là et ils ne restent pas toute la journée. Pourtant, les délibérations qui arrivent en dernier ressort sont souvent les plus importantes.

Dans la salle du conseil municipal, Mme Rivière (groupe Motivé-e-s) s’exprime sur la délibération n°28 (contrat petite enfance ville-CAF) :

Votre conception de la démocratie à Toulouse s’est confirmée sur le dossier des CLAE. Vous aviez promis lors de votre campagne des états généraux de la petite enfance qui devaient être la 1ière pierre à la généralisation de l’animation dans toutes les écoles de Toulouse.
Or ces états généraux n’ont jamais eu lieu, et la nouvelle convention des CLAE a été présentée et votée à huit clos lors du conseil municipal du 21 juin, sans concertation commune avec les acteurs concernés.
« Malheureusement » cette convention s’est révélée inapplicable, elle a provoqué un tollé chez les parents d’élèves et les personnels et un moratoire a été décidé dans l’urgence. Vous avez voulu acculer les associations à un choix dans l’urgence pendant les vacances, ceci est très loin de la concertation annoncée…

Mme Rivière (groupe Motivé-e-s), dans le local de son groupe :

Sur la démocratie ? Voici un exemple. On travaille sur les CLAE depuis la commission des affaires scolaires de juin. La mairie a proposé des choses et on a fait remonter des demandes des parents d’élèves, des syndicats… sur une autre manière d’organiser, de concerter… sur le prix de journée pour que les CLAE et les animateurs s’en sortent, bref… Suite à cette commission scolaire il y a le conseil municipal du 21 juin et puis il y a problème. Conférence de presse… il y a les parents d’élèves qui viennent et il y est prévu un autre conseil municipal qui doit traiter de cette question. Alors on attend cette délibération avec impatience, tout le monde, notamment les associations avec qui on travaille…
Celle-ci va arriver l’avant veille… donc pas le temps de discuter de ce que propose la mairie avec les associations concernées. Ce travail de faire remonter, qui est notre rôle, on n’a pas le temps, car cette concertation demande beaucoup de temps. Cela est une atteinte à la démocratie…

Mme Hebrard de Veyrinas dans son bureau :

Bien sûr, il va y avoir, par exemple dans la construction d’une école nouvelle, un travail avec les associations de parents d’élèves. Et puis après, il y a le suivi avec ces parents d’élèves des étapes de la construction… La première étape est le dessin du projet, on va voir avec eux, avec les enseignants, si le projet correspond à leur attente : si le préau correspond, si les salles de classes sont bien disposées… et on va le travailler avec les parents d’élèves…
Bien sûr que l’on tient informées régulièrement les associations de parents d’élèves.

Mme Rivière, la suite de son intervention au conseil municipal :

Plus fort encore. Des acteurs concernés (FCPE, personnels de l’animation, mouvements d’éducation populaire, enseignants) ont décidé d’organiser eux-mêmes ces fameux états généraux pour pallier les manques de la mairie. Ils vous ont sollicités pour les organiser mais vous avez refusé de vous engager ! Un vrai dialogue ferait-il peur à la mairie ?

Un élu de l’opposition dans le local de son groupe :

Les élus de la majorité ont en général une attitude clientéliste. Ils rencontrent les gens séparément. Ils « écoutent » ce qu’ils veulent bien entendre. Ils ne veulent surtout pas avoir affaire à des lieux de réflexion collective. C’est les élus qui doivent de manière apparente être le lien entre les uns et les autres. Si les individus et les associations sur le terrain se rencontrent de manière horizontale et élaborent ensemble, là rien ne va plus. Cela leur fait peur. Peur d’une remise en cause de leur pouvoir ? Perte d’une reconnaissance ?
Peur des questions posées à cette démocratie représentative ?
Et puis il y a un autre problème. Le plus souvent ces élus confondent concertation, du bas vers le haut, et communication, du haut vers le bas. En tout cas, pour moi, c’est ce que je ressens par exemple dans la mise en place de ce qu’ils appellent « la démocratie de proximité ».

IV) La démocratie de proximité.

Dans « Capitole Infos », le journal d’information de la mairie de Toulouse, deux pages sont intitulées « Expressions ».
L’une entière est un texte de la majorité qui a pour titre :
Démocratie de proximité : d’autres en parlent ; nous, on l’a fait !

On peut y lire :
La mise en place de la démocratie de proximité est l’aboutissement d’un engagement pris dès l’année 2000 par Philippe Douste-Blazy lors de la campagne pour les élections municipales.
Cet engagement a été conforté au niveau national par la loi du 27 février 2002 soutenue à l’époque par la minorité municipale.

En face, dans le même numéro, deux groupes municipaux se partagent la page.
L’un du Groupe Municipal Motivé-e-s s’intitule :
« Démocratie de proximité » de M. Douste-Blazy ou « Loi Vaillant » de M. Jospin…
La démocratie vivante attend toujours !

L’autre du Groupe Gauche Plurielle :
La participation des habitants : une clef essentielle pour l’exercice de la Citoyenneté !

M. Suaud, la trentaine ?, membre du Parti Socialiste, assis dans le local de son groupe municipal :

De fait la démocratie de proximité de M. Douste-Blazy n’est que l’application de la « loi Vaillant ». La portée initiale de celle-ci a été limitée par la majorité conservatrice du Sénat.
Toujours est-il qu’elle oblige maintenant les communes à créer des espaces de concertation : les conseils de quartiers. La loi prévoit également la possibilité d’affecter un local aux conseils de quartiers, et de leur allouer chaque année des crédits pour leur fonctionnement.

Elle impose la création d’un espace d’expression pour l’opposition dans le bulletin municipal quelque soit sa forme… Capitole Infos mais aussi sur internet par exemple.
Elle impose aussi la possibilité de constituer des missions d’information et d’évaluation, chargées de recueillir des éléments sur une question d’intérêt communal ou de procéder à l’évaluation d’un service public communal.

M. Moudenc, adjoint au maire, est chargé par la mairie de mettre en place cette « démocratie de proximité », il explique dans les grandes lignes comment il a été procédé :

La ville a été découpée en quartiers… Ce découpage reprend celui des cantons pour simplifier le travail des administrations d’autant plus que ces cantons n’avaient pas été élaborés n’importe comment et après longue réflexion… Des maires délégués y ont été désignés par le maire.
Des commissions consultatives ont été mises en place sur chaque quartier. Pour cela, nous avons pris contact avec des associations et des personnes qualifiées. Le maire délégué convoque et anime ces commissions. C’est lui qui est chargé de faire remonter le fruit de cette concertation qui a trait au cadre de vie. Ces propositions seront ensuite soumises au conseil municipal qui reste seul à pouvoir décider de leur mise en œuvre en fonction du budget de la ville.

Dans la salle du conseil municipal, M. Douste-Blazy donne la parole :

Sur la délibération 86, pour le groupe Communiste et Citoyen, madame Martinelli ?

Madame Martinelli :

…Il ne suffit pas de dire aux toulousains et aux toulousaines allez-y parlez ! Il faudrait encore leur donner la capacité de pouvoir poser les questions qui vous gênent et, de les laisser entendre les critiques qui sont formulées…
La loi sur la démocratie de proximité est un compromis insatisfaisant car il a vidé de sens la démocratie participative…
Cette loi vous laisse toute liberté de composer les commissions consultatives de quartier à votre guise et de faire de ces lieux des outils de la mise en valeur de vos choix de gestion.
Les réunions qui ont été tenues à ce jour confirment complètement ces réflexions…

« Mon Quartier ma ville » est le nom de la lettre des commissions consultatives. Elle est éditée par la mairie de Toulouse. Ces lettres luxueuses, de plusieurs pages et en quadrichromie, sont adaptées à chaque quartier.
Sur la première page, la photo et l’éditorial de M. Douste-Blazy : il y présente « la démocratie de proximité ». Il conclue :

A Toulouse, la démocratie de proximité, ce n’est pas un slogan. C’est une réalité.
Beaucoup nous envient la beauté, la culture, la modernité et l’art de vivre de Toulouse. Je veux que Toulouse soit, aussi, un modèle de participation des habitants dans la construction de notre avenir.

Le reste de cette plaquette présente le quartier, ses monuments, des chiffres sur sa population, les transports, les commerces…
Un plan montre son découpage et sa position géographique dans la ville.
La dernière page est consacrée au maire délégué et à son équipe.

Le récurent dans l’opposition en « off » ou en « in » alternent avec les images de la lettre « mon Quartier ma ville » :

Le découpage qui recopie les cantons, avec ces maires délégués, ressemble à si méprendre à un début de campagne pour les cantonales. Alors que la loi prévoit 6 mois pour organiser ce découpage, on a été mis devant le fait accompli par une délibération reçue deux jours avant le conseil.
Ces découpages regroupent des zones dont les réalités de vie sont totalement différentes…
On ne sait pas sur quels critères ont été choisies les associations qui composent ces commissions consultatives. Certaines sont sur-représentée par rapport à d’autres… les commerçants, les boulistes, mais aussi leur nombre de délégués par rapport à un comité de quartier. Et que dire des personnes qualifiées ? Il y a de tout : un militaire, un directeur de collège privé, un chef d’entreprise, un habitant… Cela ressemble à du clientélisme… Sans parler de toutes ses associations nouvellement créées qui y sont…
A lire les lettres de présentation, on peut croire que rien ne manque. Pourtant certaines commissions consultatives sont obligées de se réunir dans un autre quartier par absence de salle…

Mme de Veyrinas, dans son bureau à l’Hôtel de ville :

Oui, je suis maire délégué de deux quartiers. J’y ai bâti les commissions consultatives, j’ai contacté des associations et je les ai convoqué…
J’ai présenté un état des lieux…
Dans les prochaines lettres nous donnerons un bilan de ces premières réunions…

Un habitant du quartier des Chalets, assis derrière la table de son salon, témoigne de son expérience à propos de la commission consultative :

Vu le dispositif, je pense que le fonctionnement de ces commissions dépend des maires délégués. Celle où je participe, la maire déléguée, Mme Bayle, tend à imposer son point de vue sur les propositions que font les habitants. C’est une pseudo concertation car notre avis apparemment n’est pas pris en compte. D’ailleurs, à la dernière réunion de cette commission consultative, il ne restait plus qu’un tiers des participant présents par rapport à son lancement. Pourtant la vie associative y est assez importante, sur Arnaud Bernard mais aussi au Chalet…
D’après les échos que j’ai eu cela à l’air d’être la tendance générale. Sauf sur quelques quartiers où les maires délégués sont plus modernes, plus ouverts.

Isabelle Rivière, dans le local du groupe municipale Motivé-e-s :

Cela est comparable à ce qui se passe à propos du Grand Projet de Ville. Normalement, avant l’élaboration du projet qui va remodeler des quartiers, il est prévu une consultation des habitants. Or, comment cela se passe ? En fait, on montre une maquette du projet fini aux habitants et on leur demande à partir de ça ce qu’ils en pensent. Il n’y a pas deux ou trois projets en concurrence, non… Il n’y a même pas la maquette du quartier tel qu’il est aujourd’hui pour pouvoir comparer… Comment peut juger dans ces conditions un habitant, surtout s’il n’a pas la formation nécessaire pour pouvoir lire cette maquette par exemple. Ce sont des associations qui ont lancé la concertation et qui font ce travail d’information.
Le pire c’est que les travaux ont déjà démarré… Voilà un exemple de « démocratie de proximité ».

Un représentant, membre pour l’association « Vélo » d’une commission consultative, chez lui :

Les commission consultative sont ouvertes à des associations qui n’ont une activité qu’à l’échelle du quartier. Les associations qui ont une activité sur la ville ne peuvent pas y participer pourtant leurs rôles et leurs avis peuvent être important sur la vie d’un quartier, que ce soit des associations d’aides aux handicapés, les comités « Plus jamais ça » à propos d’AZF ou autres… Certaines associations aussi ne se créent qu’à l’occasion d’une lutte, d’une revendication particulière et ont une existence ponctuelle dans le temps… Dommage aussi que celles-ci ne puissent pas s’y exprimer.
Alors de fait, ce n’est pas étonnant que la majorité, des associations représentées dans ces commissions, soit des clubs de boulistes, des associations de commerçants…

V) Bilan, après ces deux années.

Dernières élections municipales, images du début de son premier conseil municipal.
L’entrée des nouveaux élus dans l’Hôtel de Ville, leurs installations dans la salle du conseil envahie par la presse, les caméras, les « supporters ». Le début de la séance, dans un brouhaha impressionnant.

Un collaborateur technique de l’opposition :
On peut se poser la question : « à quoi cela peut servir de participer en tant qu’élu minoritaire à un conseil municipal ? ». A part transmettre l’information aux associations concernées, faire remonter leurs avis… Mais si cela n’est pas pris en compte ? Alors utiliser le conseil comme tribune ? Oui, mais les journalistes n’assistent pas à toute la séance et ne sont de plus en plus intéressés que par ce qui leur parait « médiatique », « vendeur ». Alors jouer le jeu ? Faire du spectacle ? Cela appauvrirait notre propos !

Mme. Martinelli lance une boutade :
Si j’avais su je ne serai pas venu !

André Laurent, collaborateur technique groupe Communiste et Citoyen :
Il faut y participer ! Il faut s’accrocher et, surtout, ne pas abandonner le terrain. On a été élu pour cela sinon on trahit nos électeurs.

Mme Rivière, élue groupe Motivé-e-s :
Cela fait deux ans que nous avons été élus même si l’explosion d’AZF nous a volé presque un an. Je commence à croire qu’aujourd’hui l’important est de reconstruire des lieux de rencontres et de paroles dans les quartiers. Ces dernières décennies, pour plein de raisons, cela a disparu. Pour ça on a besoin de salles…

Mme de Veyrinas :
Je suis vraiment heureuse et enthousiaste de vivre une telle expérience de démocratie de proximité à Toulouse.

14 heures, la séance du conseil est levée pour permettre aux élus de se restaurer. La presse entoure M. Douste-Blazy…
Le Maire répond à un journaliste dans la grande salle désertée.

Le générique sur des images de la ville et en « voix off » des habitants anonymes parlent de démocratie…

JLG - 2003


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Espace privé | SPIP | squelette - conçu par jlg