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Intermittents : la CFDT mène l’affront

Edito de Jean-Marc ADOLPHE dans le dernier mouvement.net

vendredi 3 novembre 2006

En décidant de parapher un nouveau protocole rédigé le 18 avril dernier, la centrale syndicale persiste dans sa volonté de réduire les droits sociaux des intermittents du spectacle et de l’audiovisuel. Le ministre de la Culture approuvera sans doute, comme en 2003. Mais le conflit reste entier.


Après la mascarade parlementaire du 12 octobre dernier, où le groupe UMP était parvenu à « jouer la montre » pour empêcher le vote d’une proposition de loi qui aurait satisfait les principales revendications des intermittents hostiles à la réforme du 26 juin 2003 qui est venue, au sein de l’Unedic, bouleverser leur régime d’indemnisation chômage ; un nouvel épisode est venu relancer cet interminable feuilleton.

Jeudi 26 octobre, la CFDT a finalement décidé de parapher un nouveau protocole d’accord, présenté par le Medef... le 18 avril dernier ! Cela tombe bien : à l’Assemblée nationale, le 12 octobre, les ministres de la Culture et de l’Emploi avaient dû souquer ferme pour tenter de convaincre, y compris dans leurs propres rangs, qu’il fallait laisser une dernière chance aux partenaires sociaux. Comme en juin 2003, le Medef et la CFDT se retrouvent donc main dans la main pour décider du sort de plus de 100.000 intermittents. Et en trois ans, malgré les annulations de festivals, malgré la contestation qui n’a pas cessé, malgré certaines déclarations ministérielles, et au mépris des rapports commandés par le gouvernement comme des enquêtes et contre-propositions avancées par la Coordination des intermittents et précaires et certains syndicats ; leur position n’a en rien bougé sur le fond. Car, à quelques modifications mineures près, le « nouveau protocole » du 18 avril 2006 entérine les dispositions les plus contestées de la réforme du 26 juin 2003.

Plus grave encore : selon la Coordination des intermittents et précaires, « cette signature est plus qu’une provocation, c’est une humiliation. Cet accord va entraîner mécaniquement la radiation de plusieurs dizaines de milliers d’intermittents du spectacle. Actuellement 34000 personnes ont été rattrapées par le fond transitoire mis en place par le gouvernement. Ces 34000 techniciens et artistes ont pu bénéficier d’une ouverture de droits alors qu’ils n’avaient pas effectué leurs 507 h. en 10 mois et 10 mois et demi. De fait l’accord du 26 juin 2003 n’a jamais été appliqué dans toute sa brutalité. A partir du moment où l’accord du 18 avril sera en place, tout intermittent qui ne fait pas ses 507 heures en 10 mois (technicien) ou 10 mois ½ (artiste) mais qui les fait en 12 mois bénéficiera pour solde de tout compte d’une allocation de fin de droits une fois dans sa vie ! (le gouvernement a appelé ce nouveau fonds : fonds permanent).

On est loin des 507 h. en 12 mois pour tout le monde entraînant une ouverture de droits. (...) Le protocole du 18 avril 2006 continuera à verser des indemnités assedic de luxe aux salariés à hauts revenus et dans le même temps, exclura un tiers d’entre nous ».

Le conflit des intermittents est devenu familier de ce marché de dupes. En juin 2003, le ministre de la Culture d’alors, Jean-Jacques Aillagon, jurait ses grands dieux qu’il veillerait comme à la prunelle de ses yeux que le seuil des 507 heures déclarées (nécessaires pour ouvrir droit à une indemnisation chômage) soit respecté. Chiche !, ont alors répondu Medef et CFDT : en vitrine, ils ont bien gardé les 507 heures. Sauf que dans l’arrière-boutique, il y avait un vice de forme : là où ces 507 heures pouvaient être réunies en douze mois, elles devaient désormais être effectuées en dix mois (ou 10,5 mois pour les artistes). Et la durée de l’indemnisation passait de douze à huit mois. Sans doute ce que la CFDT appelle une « avancée sociale » !

La grogne persistante des intermittents, leur obstination à se manifester sans y être invités, y compris certains soirs de direct télévisé, n’ont eu comme premier résultat que le limogeage d’Aillagon. Son successeur, Renaud Donnedieu de Vabres, aura passé trois ans à se faire passer pour un brave homme, disposé à renouer le dialogue et à faire entendre raison aux « partenaires sociaux ». Il aura surtout convaincu Dominique de Villepin de lui donner quelques billes pour mettre en sourdine la grogne intermittente. Le ministère de la Culture a alors pu sortir de sa besace un « fonds transitoire » qui a pu, jusqu’à présent, repêcher de nombreux intermittents qui n’avaient pu atteindre leur quota d’heures requises.

Si la CFDT a tant tardé à signer le « nouveau protocole » du 18 avril 2006, c’est notamment qu’elle voulait s’assurer que ce « fonds provisoire » devienne « permanent ». Mais alors, si telle était vraiment l’intention, pourquoi ne pas revenir purement et simplement aux dispositions antérieures au 26 juin 2003, quitte à ce que l’Etat abonde, par une aide spécifique, les caisses de l’Unedic ? Poser la question, c’est déjà y répondre. Et les intermittents ont vite décelé l’entourloupe. Car l’intitulé d’un « fonds permanent », s’il peut rassurer, masque une réalité moins glorieuse. En effet, selon le protocole du 18 avril, les salariés intermittents qui n’auraient pas réuni dans le temps imparti le nombre d’heures fatidiques auraient droit à « une allocation de fin de droits » versée une fois pour toutes pour une durée de deux à six mois, modulable selon « l’ancienneté » des intermittents.

Il n’en fallait pas plus, assurément, pour attiser à nouveau la vigueur militante des intermittents. Sentant venir ce nouveau vent de contestation, Renaud Donnedieu de Vabres et Gérard Larcher viennent d’indiquer qu’ils allaient « améliorer » ce « fonds de professionnalisation et de solidarité », auquel les intermittents pourraient recourir deux ou trois fois plutôt qu’une. Laurent Guilloteau, de la Coordination des intermittents et précaires, analyse ainsi ce « déminage gouvernemental » : « une machine à exclure doit produire ses effets de la façon la plus progressive et discrète possible, ne pas créer un volume instantané de difficultés qui ferait thrombose sociale, et, pire, politique ». La manoeuvre ministérielle suffira t-elle à faire passer la pilule ? Rien n’est moins sûr. A Paris, une nouvelle assemblée générale des intermittents est prévue ce lundi 6 novembre.

En attendant, on peut à nouveau s’interroger sur le rôle de la CFDT dans cette histoire (1). Dans un communiqué de presse du 24 juin 2003, la centrale syndicale déclarait déjà : « Le régime d’assurance-chômage n’a pas vocation à financer la politique culturelle de notre pays ». Il faudrait prendre le temps de démonter cet argument, de montrer en quoi il est erroné et mensonger (par exemple, confondre « la politique culturelle » et l’activité culturelle), mais aussi en quoi il révèle une haine de la culture, qu serait par essence étrangère aux préoccupations des salariés...

D’un point de vue de la « défense de l’emploi », la position de la CFDT est incohérente et rétrograde. Car on ne peut « isoler » le phénomène de l’intermittence de la globalité du secteur où il s’insère. Or, le Syndeac dans un communiqué du 30 octobre 2006 en faisant allusion au rapport Guillot, parle d’une « profession qui représente environ 11 milliards d’euros de valeur ajoutée en 2003, soit autant que la construction aéronautique, navale et ferroviaire, et qui emploie 300.000 personnes ».

Mais pour la CFDT comme pour le Medef, au fond, le véritable problème n’est peut-être autre que le concept même d’intermittence. Dans un tract tout récent, la CFDT réclame « de vrais emplois dans la culture » (l’expression « vrais emplois » est en gros caractères) et ajoute ce curieux commentaire : « Une société qui maintient ses artistes dans une situation de chômeurs par intermittence, est une société qui met en danger la création culturelle et ses métiers ». Il faudrait là aussi, prendre le temps d’analyser cette petite phrase sous toutes ses coutures. Mais pour faire vite : c’est bien parce que dans de nombreux cas, la « création culturelle » invente d’autres rapports au temps et à l’activité que ceux du salariat classique (et cette remarque ne réduit en rien le combat pour davantage de permanence artistique) que « l’intermittence » et les droits sociaux qui y sont attachés sont essentiels. A ceci près qu’aujourd’hui, les formes de « travail discontinu » ne sont plus le seul apanage des métiers du cinéma et de la culture comme ce pouvait être le cas en 1969 (lorsque les annexes 8 et 10 furent promulguées au sein de l’Unedic). Or, ce n’est pas en précarisant continûment ces nouvelles modalités d’emploi que l’on va revigorer le « marché du travail », comme fait mine de le croire la CFDT. Tout au contraire, comme le signale encore Laurent Guilloteau : « D’autres paris, qui fassent fond sur la généralisation de la discontinuité de l’emploi bien au delà des secteurs du spectacle et de la communication, au lieu de la nier, sont évidemment possibles ». Mais ce chantier-là, qui consent aujourd’hui véritablement à l’ouvrir ?

Jean-Marc Adolphe

(1) - J’ai déjà largement abordé ce thème dans Crise de la représentation, éditions L’Entretemps, 2003

Publié le 02-11-2006 dans mouvement.net


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