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Lorsque la télévision donne la parole

par KNEZEK Muriel

vendredi 20 juin 2008

Aujourd’hui, la télévision occupe le temps libre des citoyens, laisse à croire au libre-arbitre, mais finalement fabrique un étonnant formatage pour une société ultra-libérale. Le bonheur se révèle dans la consommation et la subjectivité devient règle. Il existe pourtant d’autres pratiques pour que ce média apporte tout autre chose. Le Venezuela s’attelle à cette tâche et y réussit pour la plus grande satisfaction de ses téléspectateurs qui en sont également les acteurs.


Voir en ligne : Le Grand Soir

Notre télévision donne actuellement une information diluée, éphémère, ciblée et chronométrée. Sa forme et son contenu sont devenus des produits de grande consommation, où la justesse et l’intérêt des propos ne sont plus des priorités. Sujets survolés, course au « prime time », zapping sans liant d’un événement à l’autre, mépris de la gravité de l’actualité, futilité et médiocrité des thématiques, gavage et répétition, lobbying et influences politique et commerciale, partialité et orientation, véracité et vérification des faits de plus en plus problématiques… Cet inventaire désastreux remet en question le regard et la considération que l’on porte à ce média ancré dans le quotidien de chacun.

La télévision se doit de donner quelque chose avant de vendre quelque chose. Informer, former et divertir résument la mission et la stratégie majeures de l’outil. Au contraire, seul son caractère commercial – immuable à notre société – et sa propagande nettement dirigée en sont les phares. L’enjeu est transformé, l’idée malmenée et le résultat catastrophique. Cette déviance se fait ainsi dangereuse parce que véritablement abrutissante, globalisante, et vide de sens intellectuel et culturel. L’estime du téléspectateur et son enrichissement ne sont plus des objectifs essentiels et prioritaires, la part belle est donnée au développement et à l’épanouissement du panurgisme, du discours unique et de la peopolisation. La dimension informative n’est plus qu’un ramassis haché menu de communication massive, dénuée de toute grandeur humaine.

Noam Chomsky, professeur émérite de linguistique et altermondialiste, a su parfaitement résumer la méthode : « La contrainte de la concision impose de limiter le propos à des lieux communs ».

Plus loin dans son développement sur les médias actuels, Noam Chomsky précisera : « Le noeud de la question est qu’on doit travailler. Et c’est pourquoi le système propagandiste a tellement de succès. Très peu de gens auront le temps et l’énergie ou l’engagement de mener une constante bataille… [...] Le plus simple, vous le savez, quand vous rentrez du travail, vous êtes fatigué, vous avez été occupé toute la journée, vous n’allez pas passer la soirée à effectuer un projet de recherche. Alors, vous allumez la télévision, vous dites que c’est probablement vrai, ou vous regardez les titres de la presse écrite, et après vous regardez du sport ou quelque chose d’autre. C’est fondamentalement comme cela que le système d’endoctrinement fonctionne. C’est sûr que les autres informations sont là, mais vous allez devoir travailler pour les trouver ».

Alternative

Une autre télévision existe pourtant ailleurs. Le Venezuela travaille à cela. En 2000, Hugo Chavez, président actuel, élu en 1998, rend légaux les organes de communication locaux et leur donne droit à l’expression. Le ministère de l’Information et de la Communication prononce une loi de responsabilité sociale des médias, avec des règles éthiques, déontologiques face aux dérives des médias privés. La Conatel, l’équivalent de notre CSA, se doit de soutenir la production indépendante et de créer « un espace de communication conforme à l’esprit du processus de changement social en cours dans le pays ».

Pour rompre avec les pratiques traditionnelles journalistiques – qui reproduisent et favorisent la logique de présentation, qui prive le peuple de toute participation –, pour être le contraire de l’information passive, pour fabriquer une « chaîne du continent », le gouvernement met à disposition des populations, cinéastes, réalisateurs et distributeurs des canaux hertziens, où l’indépendance est totale en matière d’information. La production devient collective, en rupture avec les oligopoles qui s’accaparent la communication. Un tel système encourage les communautés les moins organisées à faire leur propre information par des cellules locales de production. La caméra est donnée – véritable fusil pour recouvrer la vue. La notion de temps dans l’information est revisitée, un nouveau journalisme revit.

Pour Hugo Chavez, la communication du XXIe siècle se conjuguant avec le socialisme du XXIe, il faut construire un nouveau modèle de télévision. Son peuple bienveillant, qui prend conscience que son avenir est dans l’action citoyenne, se trouve sensibilisé spontanément à la politique et à la révolution en marche. Un des moyens pour y collaborer est aujourd’hui la télévision participative.

Cette nouvelle télévision ouvre un canal d’information entre le peuple et Chavez, qu’il reprend dans son émission Alo Presidente – émission hebdomadaire diffusée tous les dimanches sur la chaîne Canal 8 –, et qui oriente l’agenda ministériel. Un « contraloria social » – « inspecteur social » – s’installe, efficace et constructif. L’objectif : une éducation citoyenne, collective et individuelle, pour aboutir à une société consciente, critique et participative.

Ouverture

Catia TV sera l’exemple de cette ouverture dans le pays. Initiée par Blanca Eekhout en 1990, cette télé communautaire est une chaîne de quartier émettant dans les « barrios » ouest de Caracas. Son message : « No vea televisión, hágala » – « Ne regardez pas la télévision, faites-la ! ». En décembre 2000, Catia TV obtient sa licence grâce à la loi organique sur les télécommunications, sans aucune condition politique ou idéologique exigée à son lancement. Son indépendance est totale et à tous les niveaux. Parce qu’il n’y a pas de liberté d’expression sans moyens de communication, Catia TV défend une télévision intelligente, l’antidote aux formats imposés. « Se demander où est le besoin pour y donner la réplique » symbolise l’action et le travail de la chaîne. La télévision donne enfin la parole. Catia TV, qui informera sur la réalité du coup d’Etat du 11 avril 2002 et qui sera un facteur important de son échec, sera brutalement fermée en 2003 par Alfredo Peña – maire du district fédéral de Caracas et ex-journaliste, farouche opposant au gouvernement. En cadenassant son transmetteur, en confisquant son matériel, Peña privera les communautés populaires du droit de s’exprimer et d’informer de façon indépendante. Catia TV reprendra ses droits grâce à la Commission nationale des télécommunications, seul organe disposant d’un contrôle sur les médias alternatifs. Catia TV émet aujourd’hui quotidiennement de 10 h à minuit.

De cette veine, naîtra en novembre 2003, Vive TV – chaîne nationale publique vénézuélienne – dont la présidente, bien entraînée, ne sera autre que la même Blanca Eekhout. Cette fois encore, Vive TV a la dimension d’un projet politique, culturel, pluraliste et participatif, critique et sans propagande. L’intention : donner la parole au peuple dans son contenu comme dans son fonctionnement. Son slogan : « Te gustara saber » – « Tu aimeras savoir ». Ainsi, les protagonistes sont les membres de la communauté, le citoyen, tous ces vénézuéliens invisibles dans un monde où les médias dominent la culture et le monopole du message.

Cette liberté est d’emblée et de nouveau assurée. Lorsqu’à l’ouverture de la chaîne, à la question de Blanca : « Quelle est notre marge d’autonomie ? », Chavez répondra : « J’ai besoin de critiques, mais si l’une d’elles pouvait faire tomber le gouvernement, prévenez-moi une heure avant ».

Dans ce média, les pratiques de travail et les relations sociales à l’intérieur sont hors du commun. Ici, la hiérarchie est horizontale, la considération et le respect de chacun essentiels. Les journalistes sont extrêmement jeunes, souvent recrutés directement dans les communautés et se forment sur le tas. Les techniciens de l’image, du montage et du son ont souvent accédé à leur fonction par démarche personnelle professionnelle avant de sortir d’une quelconque école spécifique, élitiste et déformatrice.

Thierry Deronne, vice-président et responsable des programmes d’information à Vive TV, a ainsi créer au sein de Vive, une école de l’audiovisuel. On y trouve une formation qui ne fige pas les fonctions, une autre manière politique de filmer, de nouvelles formes d’expression où le documentaire se substitue au reportage, le zoom dénoncé comme une fausse impression de proximité, la notion du temps de parole et de tournage revisitée, la voix off remise en question… On y aborde la philosophie, la politique, la technique, le cinéma, la culture, l’éducation…

Ces méthodes amènent, bien entendu, à tout autre chose. A Vive TV, une équipe qui réalise des investigations dans les communautés part une semaine, va au cœur des situations en se donnant déjà deux jours d’échanges avec les protagonistes dans le but de bien appréhender le sujet avant de filmer – du jamais vu. L’équipe entretient la relation après le tournage, afin d’avoir un regard de veille qui confirme l’intérêt et l’implication vis-à-vis des problématiques soulevées, leurs solutions et aboutissements. A ses débuts, Vive TV venait tourner et faisait ensuite pression, aujourd’hui son influence est si forte et si efficace que ce sont les campesinos (paysans) qui appellent ViVe TV. En décembre 2004, lors du conflit économique et social chez Venepal (devenu Invepal) – usine à papier sauvée de la faillite par les travailleurs, depuis nationalisée et cogérée avec l´Etat –, c’est un technicien de Vive qui formera les ouvriers aux prises de vues et de son de l’événement.

Vive TV se fait aussi l’écho des radios communautaires locales, en venant filmer leur organisation, leur mode et conditions de travail, leur méthode de diffusion et de programmation. Vive TV diffuse une émission d’information sur la production de ses programmes. On y découvre, en toute transparence, le fonctionnement de la chaîne et la construction de l’information. On y apprend que seulement 40% des programmes sont produits en interne, une manière d’accorder sa juste part à la production nationale indépendante et d’assurer un réel pluralisme.

Vive TV est une télévision ultramoderne et parfaitement équipée : écrans TV et ordinateurs nombreux, salles de réunions, d’enregistrement, de stockage, de montage, de matériel, espace de travail… Après 5 ans, elle salarie aujourd’hui 400 personnes et émet 24h/24 dans le pays.

D’autres modèles existent. Celui de TeleSur, lancée en juillet 2005 à l’initiative du Président vénézuélien Hugo Chávez. En partenariat avec l’Argentine, l’Uruguay et Cuba, l’objectif est de permettre aux habitants de l’Amérique latine d’avoir un média défendant « leurs propres valeurs, divulguant leur propre image, débattant de leurs idées et diffusant leurs propres programmes, de façon libre et égale ».

TVes – Television Venezolana Social – créée au lendemain de la non-reconduction de la licence de RCTV, en mai 2007, porte la même philosophie de la communication et de l’information. Une diversité des programmes pour une diversité sociale, promotion de la culture et de l’éducation s’opposant à une télévision commerciale, portes ouvertes aux producteurs indépendants.

Sans organisation, pas de révolution

Au Venezuela, le processus de démocratisation du spectre radioélectrique et des communications est lancé. Défendu et soutenu par le gouvernement, il redessine le paysage médiatique en remaniant la propriété et la gestion des moyens de communication. De par une démocratisation et une socialisation de la communication, l’intégration solidaire des peuples à celle-ci, l’appropriation et la régionalisation populaire participative, et la libéralisation du langage, les résultats sont époustouflants.

Alors que Paulo A. Paranagua écrit dans Le Monde que les paysans latinos sont des illettrés, la seule répartie possible à ce petit journaliste aliéné sera la pertinente remarque de Hugo Chavez : « La domination n’est jamais aussi parfaite que lorsque les dominés pensent comme les dominants ».

Muriel KNEZEK
pour Le Grand Soir


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