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Niger - L’option d’une démocratie élitiste

Avant projet de Constitution

vendredi 2 juillet 2010

Le 18 février 2010 un coup d’état militaire destituait le président Mamadou Tandja et son gouvernement. Dans toutes les régions du pays, le peuple nigérien sortait massivement saluer ce putsch.
Le Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie (CSRD), l’organe militaire qui a pris le pouvoir, mettait en place un gouvernement de transition dont le but était, entre autres, dans le cadre de la restauration de la démocratie, l’élaboration d’une nouvelle constitution et d’un nouveau code électoral.

Un avant projet vient d’être rendu public. De quelle démocratie va accoucher ce texte ?
En voici une critique publiée sur le site Alternative Niger.


Fruit de la réflexion d’un groupe d’intellectuels, l’avant-projet de Constitution, devant, in fine, baptiser la 7ème République, en seulement 50 courtes années de "souveraineté internationale" de notre pays, est désormais connu. Cet avant-projet constitutionnel, en dehors des dispositions pertinentes, fort appréciables, observables ça et là, semble indubitablement héberger un cheval de Troie en ce qu’il fait le pari de bâtir une démocratie singulièrement élitiste, sans une réelle participation du peuple auquel il spolie, au passage, la souveraineté. Quid de la stabilité institutionnelle et la paix sociale ?

L’un des inconvénients majeurs de l’avant projet de constitution proposé par le Comité des Textes Fondamentaux (CTF) découle non seulement de cette exclusion, difficilement justifiable, de l’écrasante majorité des citoyens (ennes) dans la conquête des pouvoirs publics ; mais aussi et surtout d’une négation totale ou partielle de la souveraineté du peuple, tant en matière de contrôle de fonctionnement des institutions qui exercent, pourtant en son nom, qu’en matière de son pouvoir absolu de modifier son environnement juridique visiblement taillé à la seule mesure des diplômés. En effet, de l’idée générale de la proposition du CTF, en matière de conquête de pouvoir public, malgré la consécration du principe d’égalité résultant de l’article 11 de l’avant projet selon lequel « tous les nigériens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs » ; il convient de relever que les non titulaires de baccalauréat de l’enseignement secondaire, qui peuvent constituer environ 90% de la population, ne peuvent être éligibles au parlement. D’autres critères tenant à l’âge (entre 28 et 70 ans) viennent également gonfler le nombre des bannis de la possibilité de se présenter aux élections législatives. Quant à la faculté de se présenter aux élections présidentielles, elle, se distingue également par son caractère hyper discriminatoire, rançon de l’illégitimité, du fait des conditions cumulatives tenant à l’âge (entre 40 et 70 ans), au niveau d’instruction (Bac +3) et à l’argent (versement d’une caution de 20 millions de nos francs.)

Pourtant, en France où nos intellectuels semblent tirer leur inspiration juridique, on remarque qu’il n’existe pas pareille disposition. Là bas, il n’est exigé qu’un âge de « 18 ans accomplis pour les élections municipales, cantonales et régionales », « 23 ans pour l’élection présidentielle et les élections législatives » et « 30 ans pour les élections sénatoriales ». Aucune référence n’en a été faite ni à un quelconque niveau d’instruction, ni à un âge maximal au-delà duquel l’on ne peut être élu en ce sens que le droit d’être élu, l’autre face du droit de vote, étant un droit humain, est réputé, une fois acquis, intangible, inaliénable et imprescriptible. Car, conformément à l’article 25 du pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel, du reste, l’Etat du Niger est partie « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation et sans restrictions déraisonnables, de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ; de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ainsi que d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays ».

Aussi, les postes nominatifs, au niveau des institutions de la République, n’échappent pas visiblement à cette règle notoirement ségrégationniste. Par le jeu de diplôme, d’argent et de nombre élevé d’années d’expériences, il est fort à craindre, dans la pratique, un net recul en matière d’autonomisation des femmes qui constituent une très forte majorité des non diplômés et des pauvres (73% selon les statistiques officielles). Les jeunes, étant presque systématiquement éliminés.

Même si le souci est de forcer les urnes à sortir des dirigeants qualifiés, le bon sens voudrait que le constituant s’inscrive dans une logique durable. A la limite, il peut miser sur la formation de l’électorat au sujet des exigences de la démocratie ainsi que celles d’avoir des dirigeants bien imprégnés de la chose. Comme démarche, on peut prévoir une institution chargée de la formation et la sensibilisation sur l’importance d’une représentation de qualité, entre autres. Les partis politiques, syndicats, associations, médias, ONGs, organisations féminines….etc. peuvent être mis à contribution. Dans cette tâche d’éducation citoyenne, l’Etat peut conséquemment subventionner ces structures ou institutions suivant un mécanisme efficace d’imputabilité qu’il aura fixé. Lorsque l’électorat est éclairé sur les enjeux, il pourra, sans grande difficulté, élire des représentants qualifiés, sans qu’il ait besoin de manipuler les lois au profit des seuls diplômés qui ne sont pas forcément les meilleurs dirigeants.

En ce qui concerne, le contrôle du fonctionnement des institutions, là aussi, le CTF n’a pas voulu permettre aux citoyens de jouer un rôle ; tout semble se faire “officiellement pour eux“ mais sans eux. A titre indicatif, la saisine de la cour constitutionnelle, « juridiction compétente sur toute question constitutionnelle même lorsque celle-ci ne lui est pas expressément dévolue », n’est réservée qu’aux seuls Président de la République, celui de l’Assemblé Nationale, 1/10ème des députés, le premier ministre et éventuellement les partis politiques en matière électorale. Tous tenus de veiller au respect de la constitution, les citoyens ordinaires regroupés ou non dans les organisations de la société civile (ONGs, syndicats, associations, organisations féminines…etc.), eux, ne sont pas autorisés à saisir la cour constitutionnelle.

Cette interdiction est d’autant plus incompréhensible que le même avant projet de constitution, en son article 6, reconnaît « au peuple le droit et le devoir de résistance contre tout régime oppressif ». Régime qu’il définit comme « celui qui viole délibérément les dispositions de la présente constitution ainsi que les libertés fondamentales et les droits fondamentaux ». Dans ces circonstances, la constitution reconnaît également à « tout nigérien le droit et le devoir de désobéir ainsi que celui de s’organiser pour faire échec à l’oppression ». Rien que cette disposition oblige, logiquement, à reconnaître à chaque nigérien et à chaque organisation, dans son domaine d’intervention, le droit de saisir la cour constitutionnelle pour dire ce qui est conforme ou non à la loi fondamentale. Sinon chacun appréciera, au moment venu, quand est ce qu’il est en devoir ou en droit de résister ou non contre l’oppression. Encore que le texte, dès lors qu’il banalise manifestement la légitimité au profit d’une prétendue efficacité qui se traduit par la dictature des intellectuels sur la grande majorité des citoyens, du reste probablement frustrés par les multiples critères discriminatoires constitutionnalisés, balise le terrain pour alimenter la résistance contre l’oppression. Des limites à la souveraineté du peuple ?

Dans un texte qui reconnaît, avec solennité, que « la souveraineté appartient au peuple », il ressort curieusement de l’article 180 de l’avant projet de constitution que le souverain est interdit, ad vitam aeternam, de réviser les articles « 45, 50, 59, 71, 72, 81, 132 et 180 ». Ces interdictions de révision portent, entre autres, notamment sur « la durée et le nombre de mandat fixé à 4 ans une seule fois renouvelable ; les limitations, d’âge tant en ce qui concerne les élections législatives que présidentielles »  ; interdiction faite au Président de la République de soumettre n’importe quel « texte » au référendum en dehors de celui « visant la promotion des droits de l’homme et de l’intégration sous régionale ou régionale »  ; le CTF propose également l’interdiction de réviser les conditions tenant au niveau d’instruction, celles portant sur « la taille de gouvernement qui ne peut excéder 20 ministères incluant les ministères délégués et les secrétaires d’Etat »...

Si la tendance au verrouillage de la constitution n’est pas nouvelle dans « le gymnase constitutionnel » nigérien, il importe de relever que l’actuel verrou est d’une sévérité singulière en ce sens que le constituant envisage de fermer toutes les portes, à double tour avant d’avaler les clefs. Autrement dit, l’article 180 interdit non seulement d’engager toute procédure de révision des articles précités, mais aussi et surtout prohibe sa propre révision. Ce qui s’apparente à une sorte de supra constitutionnalité que Georges Vedel, professeur en droit public et ancien membre du Conseil Constitutionnel français de 1980 à 1989, qualifie « d’une perversion de la logique juridique ». Pour lui, « le souverain ne peut se délier lui-même, en vertu de sa souveraineté. Il peut changer, à tout moment la norme qui interdit de changer. » La norme est par nature réversible au non de principe d’adaptation qui la frappe suivant le bon vouloir du souverain. « Cette exigence de réversibilité absolue » dira-t-il, « est d’autant plus impérieuse que la supra constitutionnalité est dangereuse pour l’ordre juridique démocratique ». Car ajoutera Daniel Amson : « ce ne saurait être qu’à l’expérience que l’on apprend si une constitution était bonne ou mauvaise ». Selon lui, le pouvoir de révision de constitution est « l’expression de la souveraineté dans toute sa plénitude ». Par conséquent, il est proprement absurde de nier à celui qui a le pouvoir de faire, celui de défaire. En tout état de cause, rappelle J.J Rousseau, « le peuple est toujours le maître de changer ses lois, même les meilleures ; car s’il lui plaît de se faire mal à lui-même, qui est-ce qui a le droit de l’en empêcher ? ». Il n’existe selon lui « aucune limite possible à la volonté du souverain qui peut modifier, à souhait, ses lois, donc par extension son ordre juridique, y compris la norme constitutionnelle ».

En outre, même pour les cas où, il est permis de procéder à la révision de la loi fondamentale, « l’initiative de révision n’appartient concurremment qu’au président de la république et aux membres de l’Assemblée Nationale ». Et, sous prétexte de la représentation nationale, à la majorité de 4/5 des membres composant le parlement, soit environ 91 sur les 113 députés, la constitution “peut être valablement révisée“, à la demande du Président de la République ou de parlement, hélas, sans qu’il ait besoin de chercher à savoir si oui ou non le peuple approuve la modification. Par le jeu de représentation, le peuple se voit ainsi dépouiller de toute emprise sur les institutions et les lois de la République.

Si souverain qu’il soit, le peuple, lui, n’exerce “sa souveraineté“ que par ses représentants élus et par voie de référendum. En terme clair, le peuple ne dispose d’aucune autre prérogative que de “voter librement“ soit ses dirigeants suivant des critères restrictifs préalablement fixés sans lui, soit les textes par référendum qu’il ne peut même pas initier. Le vote est ainsi le seul maigre contenu donné à la souveraineté du peuple. Avec un tel schéma, peut on dire qu’on s’achemine vers une gouvernance participative et inclusive ? Difficile de se l’imaginer.

Alternative Espaces Citoyens Niger
30 juin 2010


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