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Documentaire. Les intermittents, artistes en pointillés ?

Article paru dans l’édition du 25 septembre 2000.

samedi 23 septembre 2000


Professionnels du spectacle en bleu de travail

Jean-Luc Galvan est auteur et réalisateur de Bleu du travail et bleu du ciel. Où il est question du travail de l’artiste, de son statut dans la société et du travail tout court. Rencontre.

Bleu du travail et bleu du ciel. France 3 Sud. 15 h 40.

La télévision est souvent une machine à mystères. Tenez, par exemple, le dernier film de Jean-Luc Galvan, Bleu du travail et bleu du ciel. Un petit bijou, ce documentaire, et dans la forme, et dans le fond. Un bijou où l’auteur-réalisateur, en partant des professions du spectacle, et du statut d’intermittent, se pose la question du rapport au travail. Dans ces milieux, " artistiques ", mais aussi au-delà.

Jean-Luc Galvan n’en est pas à son coup d’essai. Il avait déjà participé à l’écriture d’un documentaire de création, les Rêves de la main réalisé par Renaud Verbois, en 1999. Où il est question des ganteries de Millau, fermées pour cause de rentabilité économique. Et de toute la perte d’un savoir-faire, et d’une certaine forme d’art dans le travail. Là, avec Bleu du travail et bleu du ciel, le réalisateur renoue avec cette réflexion autour de la notion de travail. " L’idée de ce film est née en 1996-1997, pendant les luttes des intermittents du spectacle pour le maintien de leur statut ", explique-t-il. Lui, à l’époque " participe au mouvement, à Toulouse ". Et filme, aussi, les actions ponctuelles des intermittents. Parallèlement, il s’associe aux débats " très riches " des coordinations nationales. " Nous avons remis en cause l’art comme production marchande, d’abord. Et puis réfléchi à notre statut : nous sommes salariés lorsque nous recevons un cachet. Et chômeur le reste du temps. Puisque le statut d’intermittent ne paye pas le travail, mais le chômage. " Puisqu’un intermittent se définit par l’appartenance à un régime particulier de chômage, les annexes VIII et X de la convention de l’UNEDIC. D’où l’idée de Bleu du travail et bleu du ciel.

Jean-Luc Galvan est allé rencontrer des professionnels du spectacle impliqués dans ce mouvement de 1996. Comme l’Usine, Okupa Mobil ou Saltobrank. Tous ces gens, considérés comme chômeurs en dehors des 507 heures (ou 43 cachets) qui leur assurent l’ouverture de droits aux ASSEDICS. " Qui ont fui le salariat traditionnel, parce qu’ils ont envie d’"autre chose". Ils bossent beaucoup, mais ils n’ont pas d’horaires fixes, ni de journées "type". Ils créent un autre rapport au temps. "

Jean-Luc Galvan a donc interrogé ce rapport au temps de la création. Et au travail qu’elle représente, parce qu’elle ne naît pas de rien. Bleu du travail et bleu du ciel, parce qu’il " faut beaucoup travailler pour fabriquer du rêve . Ce qui induit d’emblée une autre question : quelle est la part du rêve dans le travail ? Comment peut-on associer les deux ? Est-ce que c’est conciliable ? " Pour le réalisateur, la réponse est positive. " Tout le monde peut être artiste. D’ailleurs, je n’aime pas ce mot. Mais j’ai peur qu’aujourd’hui, nous ayons une culture à deux vitesses : la grosse artillerie d’un côté, financée à coups de grosses subventions. D’ailleurs, au passage, de moins en moins de compagnies reçoivent de plus en plus de fric. Et à côté, il y a le reste : des gens qui essayent de vivre, d’innover, de créer, avec trois bouts de ficelle. Aujourd’hui, une compagnie ne peut pas salarier ses comédiens, ses techniciens. Si le statut d’intermittent disparaissait, le théâtre, la musique, l’audiovisuel connaîtraient un appauvrissement sans précédent. La multiplicité, l’échange, la confrontation, l’émulation permettent d’avoir une création aussi vivante. "

Dans son documentaire, Jean-Luc Galvan se pose la question : comment prend-on en compte le travail réel d’un artiste ? Le temps de la création pure, le temps de la répétition, le temps du montage des décors ? Tout cet envers du décor que le spectateur ne voit pas, et qui n’est pas non plus décompté lorsqu’une compagnie vend un spectacle ? En 1997, les intermittents en lutte proposaient d’étendre leur statut à toutes les couches de la société, toutes activités confondues. " D’abord, ça empêcherait les gens de faire n’importe quoi, à n’importe quel prix, comme veut l’imposer le patronat avec le PARE. Et puis ensuite, ça permettrait à tout le monde de repartir sur d’autres bases, à n’importe quel moment de sa vie. "

Ce petit film qui n’est pas une bible. Mais à mélanger imaginaire, travail de l’artiste et travail pour monter un spectacle, il ouvre des portes sur une question toute simple : au fait, qu’est-ce que travailler ? Et à quoi ça sert ?

Caroline Constant


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