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Bonne année 2010 à tous les Don Durito de la terre

samedi 2 janvier 2010

Je rêve et me prélasse là où se jette dans l’Atlantique le courant d’Huchet. Soudain je le vois débarquant de sa pirogue transatlantique. Il ressemble étrangement à Don Durito, le scarabée chevalier servant du Sup Marcos. Il a l’air d’avoir voyagé longtemps, il semble épuisé. A-t-il fait le tour du Pacifique pour éviter le canal de Panamá ?

Il me contourne imprimant fièrement la trace sur le sable avec ses petites mains et ses petites pattes, marmonnant : "une question, une question, une question..." . Une démarche élancée si vive que je n’ai pas la présence d’esprit de me présenter et de lui offrir à boire. J’ai juste le temps de sortir mon petit appareil photo numérique pour le photographier de dos.


Plus tard en le cherchant je m’aperçois que la trace laissée par ses petites pattes sur ce parchemin de sable forme des lettres, des phrases, un long texte...
Un message pour cette nouvelle année ?
Pour moi ? Pour nous ?
En voici un extrait :

Le monde est grand comment ?

– “Vas-y”, dit Durito
– “Le monde est grand comment ?” Lui dis-je,
– “Bon, pour la réponse il y a une version courte et une version longue. Tu veux laquelle ?”

Je regarde la montre. Il est 3 heures du matin, j’ai les paupières qui tombent et la casquette sur les yeux, donc je lui répond sans hésiter :
– “La version courte.”
– “Comment la version courte ! Tu penses peut-être que j’ai suivi tes traces dans huit États de la République mexicaine pour exposer la version courte ! Des nèfles, pas question, que dalle, que nenni, négatif, refusé, non.”
– “Bon, dis-je résigné, alors la version longue.”
– “Voilà, mon grand nez nomade ! Écris maintenant…”

Je prends le crayon et le cahier. Durito dicte :
– “Si tu le vois d’en haut, le monde est petit et de couleur vert dollar. Il entre parfaitement dans l’indice des prix et cotations de la Bourse, dans le pourcentage de marge d’une multinationale, dans le sondage électoral d’un pays qui a souffert la séquestration de sa dignité, dans la calculatrice cosmopolite qui additionne les capitaux et soustrait les vies, les collines, les rivières, les mers, les sources, les histoires, les civilisations entières, dans le tout petit petit cerveau de George W. Bush, dans l’esprit bouché du capitalisme sauvage mal habillé dans son costume néolibéral. Vu d’en haut, le monde est très petit car il ne tient pas compte des personnes et, qu’à leur place, il y a un numéro de compte en banque, sans autre mouvement que celui des encaissements.

“Mais si tu le vois d’en bas, le monde a une telle ampleur qu’un seul regard ne suffit pas pour l’envelopper, mais qu’il faut beaucoup de regards pour le compléter. Vu d’en bas, le monde regorge de mondes, presque tous peints de la couleur de l’exploitation, de la misère, du désespoir, de la mort. Le monde en bas s’agrandit sur les côtés, surtout vers le côté gauche, et il est fait de plein de couleurs, presque autant qu’il y a de personnes et d’histoires. Et il grandit en arrière, vers l’histoire qui l’a fait monde d’en bas ; et il grandit sur lui-même avec les luttes qui l’éclairent bien que la lumière d’en haut s’éteigne, et il rêve même si le silence d’en haut l’écrase, et il grandit en avant devinant dans chaque cœur qui le porte l’aube que feront naître ceux qui en bas sont ceux qu’ils sont. Vu d’en bas, le monde est si grand qu’il contient beaucoup de mondes et malgré ça il reste encore de la place pour, par exemple, une prison.

“C’est-à-dire pour résumer, vu d’en haut le monde rapetisse et il n’y a de la place que pour l’injustice. Et, vu d’en bas, le monde est tellement spacieux qu’il y a de la place pour la joie, la musique, le chant, les danses, le travail dans la dignité, la justice, l’opinion et la façon de penser de tout le monde, peu importe leurs différences si en bas ils sont ce qu’ils sont.”

C’est à peine si j’ai eu le temps de noter. Je relis la réponse de Durito et je lui demande :
– “Et quelle est la version courte ?”
– “La version courte est la suivante : le monde est aussi grand que le cœur qui d’abord souffre et ensuite lutte, ensemble avec tous ceux d’en bas et à gauche.”

Durito s’en va. Je continue à écrire pendant que dans le ciel la lune se consume avec la lubrique caresse de la nuit.
...
Depuis l’Autre Puebla
Sup Marcos
Commission Sexta de l’EZLN
Mexique, février 2006

Pégase

Après avoir laissé son message, Don Durito s’en est sans doute retourné là-bas, dans la Forêt de Lacandone, sur le dos de sa tortue "Pégase"...
En tout cas, je ne l’ai pas retrouvé mais je vous adresse ces vœux.

Vos commentaires

  • Le 24 janvier 2010 à 23:38, par Marion Colson En réponse à : Bonne année 2010 à tous les Don Durito de la terre

    J’ai fait la route inverse de ce petit scarabée, puisque fêté cette nouvelle année au Mexique, dans le Chiapas pas loin de Marcos.
    J’ai vu un monde d’en bas ; un monde de là-bas, plein de couleurs, de chants, et de joie, et pas seulement.
    J’ai vu la tortue, peut-être Pegase, le dos plein des dessins de son histoire, et vide de Don Durito. Alors je suis contente de trouver son message au retour, les yeux remplis de trésors de sa terre ! Merci.
    Que l’année soit douce aux Don y Donas Durito de la tierra. Feliz nuevo ano. Paz y dignidad.
    Marion


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