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Crise alimentaire mondiale et famine au Sahel

La situation dans la région de Guiè (mai 2008).

samedi 24 mai 2008

Par David Sawadogo, Pamoussa Zida et Edmond Compaoré, volontaires à l’AZN [1]

En 2007, dans la région de Guiè, la saison pluvieuse a commencé en juillet, avec
un mois de retard. Puis, pendant deux mois et demi, les pluies ont été
abondantes, souvent destructives. A la mi-septembre, la pluie s’est arrêtée
brusquement, un mois trop tôt ! Beaucoup de récoltes se sont desséchées avant
de mûrir ; depuis la famine est dans tous les esprits car chez nous tout le monde
est agriculteur !


Voir en ligne : Association inter-villages ZORAMB NAAGTAABA

Une fois la trop maigre récolte consommée, dès le mois de janvier, dans la
plupart des familles, la famine se ressent. De deux ou trois repas par jour, on ne
se contente désormais que d’un seul ! « Je ne sais plus comment faire pour
nourrir ma famille, j’ai déjà vendu ce qui me restait comme moutons, chèvres et
poulets. Il n’y a plus rien à vendre chez moi ! J’ai demandé à des amis de me
venir en aide avec un peu de mil mais depuis, ils ne se sont pas encore
manifestés. Ma famille est sans provision !
 » Ce sont les propos d’un chef d’une
famille de quinze personnes qui ne sait plus comment nourrir les siens !
Les femmes sont les plus touchées, surtout dans certaines familles polygames où
lorsque la famine survient chaque femme doit nourrir ses propres enfants, le
mari ne pouvant plus rien assumer. Et nous sommes encore loin des prochaines
récoltes qui ne commenceront qu’en septembre 2008. Une femme de la
quarantaine nous témoigne « Nous n’avons pas pu récolter grand chose ; dès la
Noël, notre mil était déjà fini. Nous mangeons une fois par jour et souvent rien.
J’ai demandé de l’aide à mes parents et c’est avec ça que je me débrouille. Notre
quotidien c’est le baagbènda [2]. Pourvu que les enfants aient quelque chose à manger. Mon mari ne bouge pas ! Il ne fait rien ! Il me regarde avec mes enfants ! Si je prépare il mange ; si je ne prépare pas il ne dit rien. Il ne me demande jamais où j’ai trouvé le mil
 ».
Beaucoup ont même mangé les semences de la campagne agricole qui
approchent et devront en racheter ou en quémander lorsque la pluie reviendra.

Chez les agriculteurs pratiquant le zaï [3], il reste encore des céréales dans les
greniers. Les enfants arrivent toujours à manger deux fois par jour. Beaucoup de
ces familles ne connaîtront la famine que tardivement, d’autres ne la verront pas
du tout. Un chef de famille nous témoigne : « J’ai toujours du mil dans mon
grenier, je sais que je vais en payer, mais à partir du mois d’août
 ». Deux autres
d’ajouter : « J’ai toujours du mil et cela me permet de préparer les trois mois de
soudure qui arrivent
 » ; « Moi, je ne devais pas payer du mil cette année, mais
malheureusement, il y a beaucoup de gens qui sont en difficultés et qui viennent
me solliciter de l’aide. Je ne peux pas ne pas leur en donner car se sont des amis
et des proches. Si chez moi je mange à ma faim et chez mon frère d’à côté ils
mangent du baagbènda, ça me touche beaucoup si je ne lui donne pas. C’est ce
qui fait que je connaîtrai moi aussi la famine dans le mois d’août
 ».
Les familles qui pratiquent le zaï souffriront peu de
cette famine et auront la force de travailler pendant la saison pluvieuse.

Dans quelques familles, tout l’espoir repose sur les enfants qui sont en Côte
d’Ivoire ou à la capitale. Ces derniers envoient de l’argent pour acheter du mil.
Une veuve nous confie ses sentiments : « Je vis avec mes cinq enfants et c’est
mon fils aîné qui est en Côte d’Ivoire qui fait vivre ses petits frères. Il m’a
envoyé de l’argent de sa récolte de cacao pour les nourrir jusqu’au mois de mai.
Les enfants ont un repas par jour mais ne se plaignent pas ; ça vaut mieux que
rien. Les mois de juin, juillet et août seront très durs car il n’aura pas d’autre
argent à m’envoyer
 ».

Grâce aux travaux rémunérés de la Ferme Pilote de l’AZN, sur les différents
chantiers de réalisation de mares, de bullis, de routes et de périmètres bocagers
en cours actuellement, beaucoup de familles arrivent à s’acheter des vivres.
Nous avons recueillis le témoignage d’une femme sur le chantier du périmètre
bocager de Cissé-Yargho : «  Notre grenier s’est vidé dans le mois de janvier et
depuis, notre mari a vendu tout son bétail pour assurer la survie de la famille. Il
a donc demandé à chaque femme de s’occuper de ses enfants. J’ai pu payer du
mil avec l’argent de mes contrats, ce qui me permet de nourrir mes enfants
 ». Un
jeune homme nous dit : « La vie est devenue très dure dans ma famille Avec
l’argent de mes contrats, j’ai payé un sac de mil pour aider mon père à s’occuper
de la famille
 ». Environ un millier de personne auront pu travailler sur ces
chantiers en 2008, sur les 15.000 habitants que compte les environs de Guiè.

La crise alimentaire mondiale et la vie chère qu’elle engendre, viennent
aggraver la vie des paysans. Le sac de mil ou de maïs de 100 Kg s’achète au
marché local à 17.000 Fcfa (26 €). On ne pense même pas au riz qui, si on en
avait les moyens, s’achèterait au village à 20.000 Fcfa (30 €) le sac de seulement
50 Kg. Alors qu’il y a quelques années, lors d’une famine, le riz importé était
devenu moins cher que les céréales locales.
Cette année encore, la pluie semble tarder à venir et la saison sèche nous semble
bien longue depuis septembre 2007. Ces famines répétées interpellent la société
villageoise qui, engluée dans ses traditions, ne sait pas trop comment se relever
et sortir de sa pauvreté récurrente.

Notes

[1L’AZN est une association de 10 villages de la région de Guiè unis pour lutter contre
les fléaux qui les menacent depuis la fin des années soixante. C’est une organisation
paysanne soucieuse d’intégrer toutes les composantes du développement rural, en
s’inscrivant dans la marche du monde contemporain.

[2Feuilles d’oseille ou d’haricot cuites à l’eau avec un peu de farine.

[3Le zaï est une technique traditionnelle de culture des céréales, originaire de la région nord-ouest du Burkina (Yatenga). Il s’agit d’une technique consistant à
concentrer l’eau et les nutriments autour de la plante cultivée. Concrètement, cela
se fait en creusant durant la saison sèche des trous de 30 cm de diamètre et de 15
à 20 cm de profondeur. Du compost bien mûr y est déposé et recouvert d’une
petite quantité de terre au bord de laquelle on sèmera la céréale (mil, sorgho ou
maïs) dès les pluies de mai-juin, souvent insuffisantes.
En localisant l’eau et le compost, cette technique permet de garantir
l’implantation précoce des cultures qui profiteront pleinement de la mousson et
résisteront aux poches de sécheresse. Le seul frein au développement du zaï est le
manque de compost, auquel la pratique rationnelle de l’élevage permettrait de
pallier.
Cette technique permet de récupérer une terre dégradée tout en en tirant une
bonne récolte dés la première année. C’est aussi une assurance de récolter de quoi
vivre, quelque soient les aléas climatiques. Nous avons eu en 2001 de bons
résultats avec une pluviométrie de seulement 428 millimètres !
L ’AZN développe cette technique dans la région de Guiè. Plusieurs voyages
d’étude ont été organisés dans le Yatenga ; Un concours agricole du plus beau
champ zaï est organisé chaque année en octobre, entre les agriculteurs des 10
villages de l’AZN.


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