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L’ami américain : Robert Kramer

Homme libre, Robert Kramer aimait le risque au cinéma comme dans la vie par EDOUARD WAINTROP

mardi 1er novembre 2005


De prime abord, Robert Kramer était séduisant. Un grand sourire franc, une allure décontractée, un accent new-yorkais indélébile, une main tendue qui se referme vigoureusement sur la vôtre, c’était un Américain. Il avait un physique d’acteur, que Cedric Kahn avait fini par exploiter dans l’Ennui.

Robert Kramer était un homme libre. Il n’avait pas seulement roulé sa bosse dans les mouvements gauchistes américains des années 60, au Viêt-nam écrasé par les bombes, dans l’Angola mal remis du colonialisme, il n’avait pas seulement largué les amarres, passant de l’Amérique, où il était né, à la France, où il avait élu domicile, son cinéma aussi était plein de risques. Milestones (1976) est un des rares films qui parle des combats de la gauche des années 70 sans pathos, sans prosélytisme, ni encore moins déni de soi, c’est surtout une fresque surprenante nourrie de ruptures de ton. Incroyable d’inventivité. Un grand film américain.

« Ne pas vivre selon la norme ». Les Etats-Unis, son pays, l’ont toujours passionné. C’est sans doute pourquoi il adorait John Ford, « qui incarne la logique d’une civilisation », disait-il dans un numéro spécial des Cahiers du cinéma. « J’ai l’impression, ajoutait-il, que c’est quelqu’un qui s’est senti vivant quand il faisait des films. C’est ce qui me touche chez lui. »

Kramer avait vu le monde changer sans lui et dans un sens qui ne l’enchantait pas toujours. « Le rôle de l’individu change. Le monde n’existera plus de la même manière en tant que source d’émerveillement. » Malgré ces mutations, il restait accroché à un programme minimal : « Ne pas vivre selon la norme, ne pas accepter les idées reçues. »

Nouvelle frontière. Ces dernières années, Kramer se passionnait pour l’univers cyber de l’écrivain William Gibson. Il aimait la science-fiction, guettait le problème qui dépassait celui qu’il se posait sur le moment. En un mot, il était toujours en route vers une nouvelle frontière.

C’est pourquoi son cinéma n’est pas seulement physique, engendré par son indéniable appétit de vivre. Il est aussi spéculatif. Il pouvait passer des mois à Hanoi sous les bombes, ou à Berlin juste après la chute du Mur, il réfléchissait toujours aux rapports de sa caméra avec le monde.

Il avait ainsi une relation double à la spontanéité. Très direct lui-même, il se méfiait pourtant de cette qualité quand il s’agissait de son art. En 1994, invité par le Centre Pompidou, il dialogue avec Albert Maysles, vétéran du cinéma direct et réalisateur de The Salesman. Maysles explique que, depuis le début des années 60, les matériels nouveaux, caméras et magnétophones portables, peuvent enregistrer la vie immédiatement comme jamais auparavant. Kramer fait la moue et réplique que le réel donné immédiatement, cela n’existe pas. Les scientifiques, ajoute-t-il, savent bien que la réalité est un objet que l’on construit. Au cinéma, cette construction s’appelle la mise en scène.

©Libération

Ecouter l’enregistrement d’un repérage à Toulouse avec Robert Kramer :

http://kinoks.org/article.php3?id_article=59


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