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RETROUVER LA SENSATION

The New World (Nouveau monde) de Terrence Malick

mardi 3 octobre 2006

C’est le film de fiction vu lors de ces douze derniers mois que j’ai préféré. A la fin de la projection j’étais comme ailleurs. Dans un autre monde ? Tous mes sens avaient "travaillé" et semblaient continuer à le faire. Je vous conseille de voir ce film, pas en DVD sur une télé car il perdrait toute sa force, mais dans une salle de cinéma. Je ne vais pas en parler personnellement car je ne m’en sens pas capable. Donc pour vous allécher, voici l’intro d’un article d’André Habib dans la revue Hors Champ (que je vous conseille fortement), revue québécoise qui est accessible sur le web. Et puis je vous en donnerai le lien.


The New World de Terrence Malick

RETROUVER LA SENSATION

par André Habib

avril 2006

Un étudiant à la tronche dubitative me demandait il y a quelques temps : « Faut-il vraiment aller voir The New World ? » À l’évidence, la chose n’allait pas de soi : cette question témoignait du sentiment de devoir obéir à un principe sacro-saint selon lequel il faut impérativement voir « le dernier Malick », pour la même raison qu’il est impensable de rater les films de ces cinéastes dont la production est ou est devenue clairsemée tels Bela Tarr, Nagisa Oshima, le Bergman des dernières années, Kubrick, Bresson ou Tarkovski jadis. En même temps, on retrouvait, logé au cœur de cette question, un « je sais, mais quand même », qui traduisait une méfiance agacée devant le film en question : son récit (la colonisation de la Virginie en 1607, la relation amoureuse - déjà portée à l’écran et au comble de sa stupidité par Disney - entre Pocahontas et John Smith), son thème (la rencontre entre deux « mondes » et une leçon à la clé sur « l’amour qui peut tout vaincre »), ses acteurs (Colin Farrell, Q’Orianka Kilcher, une jeune première de 15 ans, Christopher Plummer, Christian Bale), son absence quasi-complète aux Oscars, son «  tagline » (« Once discovered, it was changed forever »), etc. Le film pouvait inspirer aussi peu que Troie, Kingdom of Heaven ou Alexander.

La bande-annonce hachait violemment au montage toute chance au film de ressembler à autre chose qu’à une pitoyable aventure sentimentale et édifiante, une bluette en extérieurs sur fond de romance historique : on nous promettait des « sauvages » terrifiants s’adonnant à la chasse au blanc et des « sauvageonnes » affriolantes sautillant au son des tambours, et où, au-dessus de la proverbiale « folie meurtrière des hommes », les amants apprendraient à s’aimer, s’ébrouant dans l’eau et les frais bocages de cette virginale Amérique que l’on aura entre temps mis à feu et à sang,… le tout ponctué des grandes phrases pontifiante du Capitaine (Christopher Plummer), du type : « Let not America go wrong in her first hour » (« ne laissons pas l’Amérique virer capot dans ses premières heures »).

À la vue de la bande annonce et autres featurettes affligeantes, on pourrait se dire tout simplement que le génie de Terrence Malick s’est fait phagocyté par les impératifs commerciaux d’Hollywood. Ce qui, après tout, est arrivé à d’autres lui serait également arrivé. La compromission est le lot de bien des cinéastes et il ne faut pas oublier pour autant le triolet de grandes œuvres qu’il nous a laissé, étalées sur plus de trente ans (Badlands, Days of Heaven, The Thin Red Line). The New World serait voué à être l’astre mort au sein de sa mince filmographie, et on se consolera en se disant que malgré tout, et au bout du compte, puisque les « images doivent être belles », et que c’est au moins ça, on n’aura qu’à attendre la sortie en DVD pour ne pas le voir.

Mais lâchons tout de suite, comme dirait Rivette, ce « ton badin », qui ne fait que retarder l’appel à une adhésion complète envers ce film, qui a très peu à voir, on s’en serait douté, avec ce que le distributeur a tenté d’en faire, et ce que les cinéphiles méfiants ont tort de penser y retrouver. Il suffirait peut-être, pour commencer à les (vous ?) convaincre, de remarquer que les « grandes phrases » assertives de Plummer, entendues dans la bande-annonce, ont été coupées au montage du film, que la botte du conquérant s’enfonçant dans le marécage boueux - image d’Épinal de la conquête de l’Amérique - ne se retrouve nulle part, que Farrell (acteur très ordinaire par ailleurs) est rarement montré en « action », n’agit à peu près pas dans le film, mais plutôt, se présente dans un contre-emploi de « voyant », impuissant, indécis et malhabile (on ne le verra parler qu’après 20 minutes de film). Il est difficile d’expliquer à celui ou celle qui, ne l’ayant pas vu, ou qui, l’ayant vu, n’a pas su pleinement y goûter, la force bouleversante de ce film. Pourquoi ? Simplement parce qu’il s’agit d’un film dont toute la puissance repose sur le type particulier de sensations que le film suscite chez celui chez qui ça prend (et qui, j’en conviens avec tristesse, en laissera d’autres totalement indifférents).

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http://www.horschamp.qc.ca/article.php3?id_article=213


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