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Témoignage sur la nuit du 10 au 11 mars 2006 devant la Sorbonne

réalisé par une des interpellés du 95 bd Saint Michel

mercredi 15 mars 2006


Je suis étudiante en philo à Paris 1.

Je fais partie des 27 "interpellés" de la Résidence de Saint Michel, et il s’agit ici d’éclairer ce qui s’est passé la nuit du 10 au 11 mars 2006, devant la Sorbonne. L’occupation de la Sorbonne a en effet donné lieu à une nuit bien plus retentissante qu’on peut l’imaginer, et surtout plus que les médias le font croire, sur les goudrons parisiens, vibrant de notre colère.

Je me suis rendue à 23h39 à la Sorbonne, vendredi 10 mars.

J’avais été prévenue par le site http://indymedia.org, de la nécessité croissante de rassembler un maximum d’étudiants place de la Sorbonne de manière à soutenir ceux qui l’occupaient depuis 17h - qu’est-ce que je regrette de ne pas avoir pu être là plus tôt... Je suis arrivée par la Rue Cujas, et cette heure-là des CRS campaient à chaque entrée de l’édifice, et à quelques fenêtres du rez-de-chaussée, des étudiantes en appelaient à une "conversation" avec eux... sans succès. A droite, Rue Cousin, des barrières et des CRS, un peu plus massés. Descendue jusqu’au Bd St Michel, encore vide de déploiements à cette heure là, régnait une ambiance festive, mais surtout agonistique, qui venait de devant la place de la Sorbonne. Une barricade avait été édifiée coté Sud, direction Luxembourg, et des cordons délimitaient la partie du Boulevard devant la Place, où se trouvait un cordon de CRS, à peu près au milieu de la Place, je crois, au début.

Je suis passé, ma petite taille aidant, dans la zone devant la place de la Sorbonne, sorte d’avant-scène du drame qui s’est joué à rideaux fermés dans l’enceinte même de l’université, et c’est en traversant cette zone de forte pression que j’ai senti pour la première fois l’odeur des lacrymogènes. L’accès d’étudiants, même intrépides, dans la fac était impossible, désormais. Il y avait à cette heure là environ 300 personnes à l’intérieur.

Les étudiants ont commencé à faire groupe autour de la place, de chaque coté, avec un groupe me semble-t-il plus compact coté gauche où je me trouvais alors, non loin de photographes. La situation ne m’a pas encore semblée assez tendue pour m’empêcher d’aller voir la situation Rue des Ecoles et Rue Saint Jacques, la première étant alors assez calme, si ce n’est qu’aucune porte ou grille n’était accessible, et le trottoir gauche de la Rue Saint Jacques n’était pas non plus parcourable. Ce que je regrette de ne pas avoir remarqué alors, c’est que le petit passage, rue Champollion, qui donnait directement de la Rue des Ecoles à la Place de la Sorbonne, était vide de CRS, et complètement négligé par eux jusqu’à 4h du matin...

Cherchant un compagnon de route, avec qui j’avais rendez-vous bd Saint Michel, j’ai refait le tour, Rue Saint Jacques, rue Soufflot, parce que la rue Cujas était déjà minée de barrières etc., puis rue Cujas, que j’ai rejointe par la rue Toullier, jusqu’au boulevard, et arrivée près de la Place, par Luxembourg, j’ai senti encore plus fort les lacrymogènes. Mais cela n’empêchait pas les étudiants de rester. Quelques minutes d’attente ont excité ma volonté de passer du coté Nord de l’avenue, où la barricade était humaine, et c’est celle là même qui imposait le rapport de force le plus tendu avec les CRS qui avaient tendance à sortir de ce coté de la Place. La colère contre la violence aveugle des gaz aidant, s’est progressivement formé un cordon compact et à plusieurs couches d’étudiants, enchaînés pour une fois les uns aux autres, scandant "CRS fascistes, étudiants pacifistes", et autres slogans du même genre, à quelques mètres seulement d’eux, qui pulvérisaient de l’aérosol sur quiconque tentait de les approcher, même pour parler.

La mobilisation avait été très fructueuse, et nous sachions aussi pas mal des nôtres dans l’enceinte même de la Sorbonne, ce qui avait déjà un poids symbolique suffisamment rarement atteint pour galvaniser le soutien et l’acharnement dont nous faisions preuve devant les CRS. Le mur que nous formions était effroyablement mouvant, nos slogans, notre colère, notre détermination, notre volontés, nos corps enchaînés tendaient vers les CRS, et quelques uns d’entre nous géraient nos avancées, retranchant finalement les CRS jusqu’au trottoir limitant la place au boulevard, et même un peu plus loin.

Je pense d’ailleurs que les jets de pierres, et de bouteilles, vraiment dangereux, et surtout pour nous-mêmes étudiants, qui ne portons pas de casques et de vêtements aussi protecteurs que ceux d’en face, ont aussi permis que notre avancée soit relativement plus efficace et spectaculaire que leurs attaques à la lacrymo et à la terreur sonore, en tapant sur leurs boucliers par exemple. C’est dans une des retraites que nous avons fait pendant ce rapport de force que j’ai retrouvé mon compagnon.

C’est là que nous avons maintenu et fait progresser, dans un état de peur, de tension et de colère intenses, une chaîne HUMAINE vraiment unie, tribalement, décidément. Mais avec, pour moi du moins, une peur infinie, presque un sentiment d’impuissance derrière une rage de fauve, une tension entre leur menace d’avancer, la menace brute de ceux à qui on a donné la légitimité de nous traiter comme des criminels, et notre menace d’occuper la Sorbonne. Et en même temps, cela stimulait une lutte assez désespérée pour ne pas être ressentie comme absurde. Une entièreté du non, une complétude dans le refus de cette non-éthique dont on nous rabâche les oreilles par les conséquences pratiques qu’il faut en créer, emplois précaires et travail à coût continuement réduit.

Et alors, au bout d’un certain temps, la tension a changé de forme, la ligne des CRS était tracée, et la notre s’est faite plus festive. Au fur et à mesure, les sons des percussions improvisées se sont mis à diriger les pas, les rythmes des slogans, les esprits, les ressentis, et a guidé à des sourires, à une détermination pacifiste telle qu’elle se concentre parfaitement dans cette image tellement célèbre d’une fille présentant une marguerite à un soldat qui pointe sur elle sa baïonnette.

Et avec mon compagnon, nous nous sommes mis à danser, à tournoyer, un peu éméchés, émus plutôt, dans les vapeurs de cigarette et de lacrymogènes.

Et nous étions dans notre insouciance, trop près des CRS pour que dans leur sadique colère, ils n’en profitent pas.

L’un d’entre eux, dont je garde farouchement et hargneusement le visage dans l’esprit, a bondi de La Ligne, et nous a aspergé soudain, pendant que nous dansions, de cet aérosol brûlant. Projetés chacun d’un coté, entraînés par d’autres manifestants, tout a disparu. Je crachais mes poumons, j’hurlai tant le visage me brûlait, et tant la respiration était un supplice.

Et les yeux... j’ai cru perdre la vue pendant de longues minutes, je ne supportais pas le sérum que des bonnes âmes m’administrait généreusement. L’attente de l’accalmie de cette brûlure m’a semblée énorme. Mon foulard était chargé de cette horreur chimique, à tel point que maintenant il pourrait servir de projectile nocif...

A peine l’effet de ce lacrymogène était passé que je précipitais, retenue par d’autres, vers ce chien qui riait de son affreuse blague. Devant ses sarcasmes, devant le groupe de ces moins qu’humains, la chaîne s’est soudain reformée, et j’étais là, devant, devant celui qui tenait sa bombe dans la main, érigée comme sa fierté dérisoire. Et nous avons passé de longues demi-heures à garder la ligne, à 30 cm des forces de "l’ordre" comme on les appelle, sans violence justement, avec des piques plaisantines, un ton badin, à exacerber chez eux le genre de tension que Schwartzi ressent quand il a le doigt sur la gâchette sur un criminel qui sort une blague qu’il ne comprend pas mais qu’il ne peut pas encore tirer par il ne pourra jamais faire passer ça pour de la légitime défense...

Cela a duré longtemps - conversations de sourds, deux groupes structurés de manières totalement irréductible, d’un coté l’application aveugle des ordres, de l’autre, un groupe de gens, d’humains, dont les idées fondamentales ne diffèrent pas tant entre elles que la manière qu’on a de se considérer soi-même et au milieu des autres, pour mettre ces idées en oeuvre... Et finalement, c’est de notre coté que les rangs se sont clairsemés, à la déception de nombre d’entre nous, parce qu’il fallait trouver de quoi boire et de quoi alimenter le feu qui nous réchauffait, devant la Place de la Sorbonne.
Nous avons alors entr’aperçu, derrière le rang de CRS auquel nous faisions face, d’autres forces qui semblaient se diriger vers les portes de la Sorbonne, coté rue de la Sorbonne, 17 et 19. Quelques compagnons, autour du feu, revenaient de la rue des Ecoles où les choses commençaient sérieusement à se corser. Il semblait que le n°46 était ouvert. Il fallait des photographes pour rendre compte de la situation.

Nous les avons suivi, l’assaut semblait imminent.

Par centaines, gendarmes et policiers, libérés de tout antagonisme, pour une fois, se massaient rue des Ecoles et surtout rue de Saint-Jacques, pour rentrer dans la Sorbonne.

La rue des Ecoles était bouclée, à partir du croisement avec la rue Saint Jacques ; là il y avait des cars de gendarmes jusqu’à la rue Monge, et aussi de manière à ne pas pouvoir faire autre chose que tourner à gauche vers le bd Saint Michel en venant de la rue des Ecoles. De toutes manières, ils allaient déloger les étudiants de la Sorbonne.

Nous avons passé un peu de temps là, pour constater aussi que les forces de l’ordre demandaient au journalistes et photographes de ne pas fimer ni prendre de photos avant qu’on le leur dise...

Quelques étudiants dont moi dansaient et tournaient autour des gendarmes en leur promettant que des nuits comme celle là se reproduiraient, et que malgré notre faiblesse et nos défaites, nous leurs causerions autant d’insomnies et de troubles que des cafards ou des rats, ou leurs femmes acariâtres...

Et je crois que c’est une clameur de lutte qui nous a poussés à retourner à la Place de la Sorbonne, pour voir ce qui s’y passait.

Sur le trajet, il devait être 3h30, nous avons constaté que les choses avaient vraiment mal évolué - en même temps, tout était prévu depuis au moins vendredi matin, de leur coté...

Il y avait un déploiement titanesque, au moins sept fois trop important par rapport à l’ampleur de notre manifestation ; c’est probablement ce qui a fait que notre action s’est voulue aussi spectaculaire et marquante, d’ailleurs...

Le haut du boulevard Saint Michel a été progressivement bloqué par deux grands cars de CRS, entourés d’un déploiement non négligeable de CRS encasqués, à partir de la rue des Ecoles. Quelques petites rues plus loin, toujours sur la rue des Ecoles, il y a ce passage qui mène directement de la Rue des Ecoles à la Place, qui s’appelle Rue Champollion. Cette rue qui n’a été occupée qu’à partir de 4h par les CRS que nous avons suivis, juste avant la charge finale. Et faute de temps, nous les avons suivi et non précédés. Cette dernière rue aurait pu être leur point faible. Se retournant au bout de la rue, les CRS pointaient leur Flashballs sur nous...

Nous nous sommes repliés, et nous avons rejoint la place de la Sorbonne par le boulevard Saint Michel ; là, l’ébriété la colère, et la tension aidant, malgré le nombre décroissant de manifestants, les barricades tenaient, les bouteilles fusaient sur les CRS, et le feu perdurait. Les CRS d’ailleurs, étaient plus loin sur la place qu’avant, ils avaient encore reculé. Et là, images que je ne souhaiterais pas oublier : je crois qu’ils ont fondu sur deux personnes qui étaient un peu trop près de la ligne pour les tabasser derrière leurs rangs.

Quelques minutes plus tard, notre colère était grondante, mais trop vote apaisée : ils en ont profité pour saisir par les bras et les jambes un étudiant, complètement ivre, certes, qui était là depuis le début, et qui me semblait pas le plus belliqueux d’entre nous. Ils l’ont traîné sans ménagement, négligeant son dos qui s’arrachait sur les dalles et les tessons qui les jonchaient, et l’ont matraqué autant que leur légitimité et leur agressivité exacerbée le permettait...

Cette image a causé bien des larmes chez pas mal de filles, et de la colère en bouteilles de verre chez d’autres. Cela s’est passé si vite. Et les journalistes, pendant CE temps là, faisaient leur pause clope.

Cette violence soudain ne me semblaient plus tant venir de nous que d’eux...

D’ailleurs, j’ai eu le sentiment, que c’est à ce moment là que tous les freins, coté manifestants, ont lâché. C’était comme si on ne pouvait plus réagir autrement que par un débordement de violence, même si justement c’est exactement vers ce retranchement qu’ils nous ont poussés, de manière à nous décrédibiliser totalement, comme les jeunes des banlieues.

En même temps, je ne pense plus qu’une action contre l’ordre établi puisse perdurer longtemps en se cantonnant à ce qu’elle a le droit de déployer, comme actions de lutte. Nous avons en quelque sorte trop peur d’être hors-la-loi alors qu’une telle situation où quelque chose doit effectivement être renversé, implique qu’on outrepasse, avec la mesure d’une action qu’on veut efficace et fructueuse bien sûr, les lois qui appartiennent non pas à toute la communauté humaine mais à ce système précis que nous disons remettre en cause - alors que nous en respectons encore les lois...

Toujours est-il que nous avons dû empêcher la colère de nous bloquer dans les ultimes défenses que nous avions à organiser : coté Saint Michel, vers la Rue des Ecoles, les fameux cyclopes sur roues, cars avec trois plein-phares, s’approchaient sans avoir l’air d’être inhibés par le fait que les étudiants qui étaient devant étaient à pieds, sur ce périmètre.

Ils ont chargé assez pour se retrouver au coin de la place de la Sorbonne, devant le feu... Et à grand fracas, avec les sirènes, les phares, bref, avec toute la mise en scène qui est de mise pour toucher une foule dans sa peur, les CRS du boulevard et ceux de la place se sont coordonnés, et nous avons perdu la Place de la Sorbonne vers 4h30.

Mais nous étions encore là.

La rue Cujas, à droite, était encore plus remplie de CRS qu’avant, pas d’issue possible. La rue Soufflot commençait aussi à pulluler, et nous avons réagi trop lentement et atomiquement pour mettre en œuvre un vrai échappatoire.
Certains d’entre nous avaient déjà édifié une barricade Place Edmond Rostand, avec des jerricans d’essence et des poubelles, et avaient fait des réserves de bouteilles, grâce aux conteneurs (vive le recyclage !), juste après la rue Soufflot. La seule issue qu’il nous restait alors était de continuer à foncer sur le bd Saint Michel et sur la rue Médicis...

Non... des cars se sont profilés dans cette due, les vans de la police se sont épaissis devant le Panthéon... C’est là que des étudiants ont commencé à s’attaquer au Mc Donalds du coin de la rue Soufflot.

Amalgame, action brute, tout se liait alors bien loin de l’égide de la raison, et bien plus près du désespoir. Un van de police a fait des manœuvres sur le bd Saint Michel, au coin de la rue Gay Lussac, au métro Luxembourg...

Nous étions « faits comme des rats ». Des CRS en ligne se sont profilés, et en nous retournant, nous avons vu les cars accéder déjà à la place Edmond Rostand. Les étudiants occupants se faisaient probablement passer les menottes aux poignets. En avançant, les CRS attrapaient toujours un ou deux étudiants, un peu ralenti par l’alcool ou la peur, et le matraquaient dans leurs rangs.

Mon compagnon et moi avons pris trop tard la décision de partir, surtout que cette décision s’opposait à la présence des étudiants, encore et toujours, passablement groupés face à la situation dont l’issue était déjà certaine.

Regardant les deux cyclopes, venant du haut de la rue Saint Michel, nous avons pensé simultanément à un mot, « destin », et nous avons souri de cette complicité dans la lutte impuissante en courant encore sur quelques mètres vers le métro Luxembourg, où se trouvaient les CRS, en ligne, près à fondre. Nous avons remarqué, à notre gauche, une grille ouverte sur ce que je pensais être une chapelle, qui donnait sur une cour résidentielle malheureusement en cul de sac, comme nous l’avons constaté avec quelques autres étudiants.

Sortis de là, nous avons passé jusqu’au métro, il n’était pas possible de sortir pacifiquement du périmètre. Des étudiants se sont jetés dans le RER, il était à peu près 5h30, il était ouvert...

Nous avons eu le manque de présence d’esprit de ne pas y aller, mon compagnon et moi, et de nous diriger à nouveau vers cette grille ; en fait c’était aussi parce que les CRS se sont soudain mis à charger coté Gay Lussac, et qu’il ont très vite dépassé l’ouverture du métro pour coincer les cinquante à cent manifestants qui restaient. Il nous restait 100 à 200 mètres, entre les deux groupes de CRS. Nous avons été trop nombreux à nous précipiter vers le cul de sac, où nous avons fait un trop précaire silence pour ne pas nous mettre à dos les riverains, ceux de la résidence du fond.

Cachés derrière des voitures, nous avons espéré - vaguement - que le silence revienne, et que les voix des CRS s’éloignent, mais une lumière trop blafarde nous a soudain couverts et nous sommes sortis, poussés par les boucliers et les matraques, les mains sur la tête...

Ils disaient que nous étions au même niveau que les jeunes de banlieue, pendant qu’on nous mitraillait, mains sur la tête encore...

Ils ont menacés que ce serait nous qui porterions la totale responsabilité des actions de cette nuit...

Lorsque le mitraillage des flash a cessé, nous avons été invités à laisser nos mains vaquer. Un autre CRS nous a rejoint avec un dernier étudiant, qui s’était caché dans les buissons où je n’avais pas eu le temps de me réfugier, mais ce dernier avait sorti la tête trop tard... Monsieur « le sage »...

Dans le car, d’ailleurs, se dégageait une odeur de je ne sais quel gaz qui ne facilitait pas la respiration. Le trajet, assez long, nous a menés jusqu’au commissariat du 11è, passage Charles Dallery, et pendant ce temps nous nous recommandions mutuellement le calme et la soumission pour ne pas exciter la colère des policiers, et pour ne pas qu’ils profitent de la tension pour nous imputer plus que nous méritions.

Il n’y avait pas eu de dégradations dans la résidence.

Quel hasard de se retrouver près de la rue Basfroi, à Charonne, là ou en 1960-61 avaient été perpétrés tant de scandaleuses actions de maintien de l’ordre contre les manifestants contre la guerre d’Algérie...

Il était 6H11 quand nous sommes enfin entrés au commissariat, après qu’on ait laborieusement ( !) saisi les identités des 27 occupants du car, parmi eux 5 mineurs. Ensuite on nous a mené quelque part où on pourrait nous garder ensemble... Nous pensions à quelque chose comme une grande cellule, eux ont eu l’idée de nous emmener dans le parking intérieur du commissariat, où on nous a demandé de nous aligner contre le mur, mains contre le mur, les femmes un pas en arrière, et après la fouille, on nous a regroupé dans un espèce d’enclos de fortune, délimité par les barrières mobiles, sur 9m², où se trouvaient déjà quelques compagnons.

Voici le moyen qu’on a trouvé de faire de nous des non-récidivistes...

Les premiers appelés à sortir on été mon compagnon et une autre fille, ils les sélectionnaient au hasard, battant les cartes d’identité comme un jeu de cartes à jouer. Deux autres gars après eux, sont aussi sortis.

Une demi-heure plus tard ils ont fait sortir une fille et un gars avec moi, et nous sommes descendus au secrétariat, où on nous a encore fait attendre. La communication était encore impossible, puisque pour eux nous n’étions que des imbéciles qui n’étaient là que pour justifier leurs exercices contre les mouvements sociaux. Quant à eux, tout ce qu’ils devaient faire, c’était mettre leurs idées de coté et appliquer avec une fierté de mouton de Panurge les ordres d’en « haut ». Après, un policier est passé avec un café et a donné l’ordre de ne pas nous faire sortir... Nous avons donc encore attendu, jusqu’à ce que finalement ordre soit donné de ne laisser partir personne pour l’instant jusqu’à nouvel ordre...

On nous a donc ramenés au parc, il devait être 7h30, pour subir encore les blagues vaguement sadiques des policiers, la fumée des cigarettes qu’eux s’autorisaient à fumer, les matraques qu’ils agitaient avec une fierté... déplacée...

Là, j’ai vu grandir le ferment de cette Haine qui approfondit tant l’impossibilité de faire passer un quelconque message du peuple à l’Etat. Le peuple - notre groupe, épars, atomisé, désespéré, d’une certaine manière muet dans la mesure où son langage n’est compris que DANS le peuple, et encore, les rudiments, parce que nous sommes assez faibles pour nous mettre en conflit constamment pour des broutilles... Et de l’autre coté, ceux qui ne parlent plus.

Impossible de se dire en démocratie dans ce cas.

Vers 8h30, presque tout le monde dormait, ils nous réveillés en criant ; on nous a fait remonter, enfin, la fille qui avait été avec moi la fois précédente a été remise dans l’enclos parce qu’elle avait répondu avec un ton quelques décibels trop fort pour ne pas exciter les abus de pouvoir... En excitant colère et exaspération, ils choisissaient ceux qui resteraient plus longtemps. Il restait une vingtaine de personne quand je suis sortie.

J’ai fait la fille pommée, docile, fatiguée et mon départ n’a pas été retardé.

Au sortir du parking, un policier m’a dit : « he, vous êtes libres, après, alors faudra pas rester en bas, hein ! ».
Comme si la liberté n’impliquait pas déjà qu’on puisse aller où bon nous semble.

Lolla Garcia

le dimanche 12 mars 2006 à 18h16

Vos commentaires

  • Le 28 avril 2006 à 01:00, par yojimbo En réponse à : Témoignage sur la nuit du 10 au 11 mars 2006 devant la Sorbonne

    A problèmes de bourgeois, article de bourgeois. Fermé sur son monde, habillé de clichés, écrit mi-parlé mi-littéraire, avec une profonde envie de revendiquer son identité avant toute idée politique.

    Ces CRS que vous critiquez tant (et Dieu sait que je ne les apprécie pas) étaient effectivement là pour limiter des dégats matériels, pas pour lutter contre vous. Ils n’ont rien contre vous et si le sadisme les a trés certainement guidés, il vous a aussi guidé. Afin de satisfaire à un modèle sociale bien humain, le besoin d’exprimer son énergie, le besoin de lutter pour s’affirmer, qui créé cette "colère", excuse donnée à l’excitation qu’il y a à se retrouver en situation mai 68, en situation de lutte : J’existe, il se passe quelque chose !

    Je connais des gens qui ont manifesté sous Milosevic, en Serbie. Ces gens là luttaient contre un modèle qui tue, vous luttez contre un contrat d’embauche. Bon ou mauvais contrat, il faut relativiser l’importance de nos luttes.


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