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Vers une mise à mort du documentaire de création en Alsace ?

Un appel de réalisateurs documentaires d’Alsace

jeudi 23 novembre 2006

Voir également réalisateursalsace.infos- , le site des réalisateurs en Alsace.


« Montrer l’Alsace qui avance, l’Alsace qui réussit, l’Alsace qui s’engage. » C’est ainsi que France 3 Alsace vient de définir sa nouvelle ligne éditoriale documentaire. Derrière l’originalité du slogan, « la mutation » est annoncée. Sous couvert de course à l’audience, c’est un documentaire formaté, uniformisé, standardisé qu’on veut imposer au public. Pour une «  rupture », c’est une sacrée rupture.

Depuis douze ans, en Alsace, plus qu’ailleurs encore, le documentaire de création s’était considérablement développé, élargissant sans cesse son audience régionale, accédant parfois à des coproductions nationales, à des présences dans des festivals importants. Grâce aux efforts conjugués des créateurs audiovisuels, de France 3 Alsace, et des collectivités locales (Cus - Région), le documentaire en Alsace s’était construit dans un espace élargi, décloisonné, fondé sur la liberté des regards, la diversité des approches. C’est dans cet espace d’ouverture que, patiemment ; un patrimoine de créations s’est forgé. C’est dans cet espace d’ouverture que le documentaire en Alsace a grandi. C’est cet espace-là que la direction de France 3 Alsace veut re-verrouiller. Et de quelle manière !

Procès d’intention ? Qu’on en juge. S’inscrivant dans une « logique de marketing » assumée, notre station régionale veut « repositionner le documentaire dans le créneau du magazine ». Réduction drastique des 52 minutes au profit des 26 minutes, multiplication des portraits de « jeunes qui réussissent », sujets « événementiels », reportages sur des grands chantiers en cours (TGV, restauration de la Cathédrale...). « Zidane, la cathédrale de Strasbourg, Diams : Ils sont tous nos héros ! » proclame la plaquette de présentation de la nouvelle ligne documentaire de France 3 Alsace. Tout un programme.

Le reste suit. Lors de deux réunions, avec les producteurs et les réalisateurs, le nouveau responsable de l’antenne, Francis Guthleben, a été clair :
- « Il n’y aura plus de film sur l’Histoire » . Exit, la mémoire. Passé ignoré. Voilà pour l’Alsace qui avance.
- « Les films devront se terminer par un ’Happy End’ ». (Sic !) Nous voici à l’Alsace qui réussit.
- « Les films seront construits sur une écriture moderne et rapide. » Avec « teaser » et « habillages » standard obligatoires. Ça, c’est pour L’Alsace qui s’engage... (dans la modernité, façon M6).

La justification de ce jeu de massacre annoncé ? Le documentaire, « tel qu’il existe », ne répondrait plus aux « attentes » du spectateur. Avec enquête d’opinion et chiffres d’audiences à l’appui.

Enquête : Le « public » aurait délivré son verdict. Il veut des documentaires « courts » qui « ne lui prennent pas la tête », qui « se terminent bien », et qui soient faits dans « une approche déproblématisée » ! Voilà dans quel mélange de" vox populi" et de jargon technocratique, les auteurs d’une pseudo enquête, (fondée sur un échantillon de... 500 personnes interrogées dans 5 grandes villes - mais aucune en Alsace), ont osé résumer les « attentes » des spectateurs en matière de documentaire...Ce sont les conclusions hâtives et caricaturales de cette enquête que la direction de France 3 Alsace exhibe, sans état d’âme, en préambule à sa nouvelle ligne documentaire, désormais placée sous le signe du « divertissement » et du « loisir ». (Sic.)

Chiffres : « L’audience du documentaire sur France 3 Alsace dégringole depuis... six mois ». Ce constat alarmant dissimule d’abord une évidence. L’évidence, la voici : à partir de 1999, l’audience du documentaire sur France 3 Alsace a été presque multipliée par trois, dépassant depuis lors, et très largement, l’audience des documentaires diffusés dans toutes les autres régions.

Or, c’est en s’ouvrant à des films de 52 minutes, à la diversité des sujets, à la pluralité des formes, à la non-« déproblématisation » des approches que, le documentaire sur France 3 Alsace, stimulé par Jean-Marie Boehm a, peu à peu, rencontré son public, élargi son audience. En faisant précisément l’inverse de ce que propose la « nouvelle ligne ». En s’écartant des modèles imposés, en laissant la place à des regards personnels, parfois critiques. En faisant, quelquefois, davantage confiance à l’engagement, à la sensibilité personnelle du réalisateur et au « vivant » de la rencontre avec ses personnages, qu’à des préjugés méprisants sur le « goût » du spectateur.

Face à cette réalité-là, que valent les chiffres annoncés par la direction de France Alsace ? Que révèlent-ils ? Le contraire de ce qu’elle prétend.

L’audience du documentaire sur la chaîne a chuté de moitié dans les six derniers mois ?
Regardons de plus près les causes de cette chute. On verra qu’elle est due au mauvais score d’une série de 13 films de 26 minutes programmés durant cette période. Une série formatée, standardisée, conçue pour fonctionner selon les « goûts » du public. Une série conçue précisément selon le modèle de la nouvelle ligne éditoriale et que le public a massivement rejetée. Cet échec prouve que le précédent responsable d’antenne, lui aussi, pouvait se tromper sur les « attentes du spectateur ». Mais quelle leçon, son successeur en tire-t-il ?

Comment, en dépit de cette réalité, ose-t-on s’appuyer sur cette chute d’audience pour justifier le nivellement annoncé du documentaire en région ? Documentaire qui, selon la nouvelle « ligne » de France 3 Alsace, serait réduit à des films de série, sans mémoire, excluant tout regard critique, alignés sur une vision unilatérale de l’Alsace qui « réussit ».

Est-ce cette vision-là du réel qu’on prétend offrir au public ? Aux citoyens que nous sommes ? Est-ce dans cette mise au pas du fond et de la forme que le nouveau responsable de l’antenne espère travailler avec nous, réalisateurs de la région ?

Renseignements pris, aucune autre station régionale ne s’est, pour l’instant, engagée aussi loin dans cette logique de pur marketing. Après avoir été à la pointe du documentaire de création en région, l’Alsace va-t-elle être à l’avant-garde de sa mise à mort ?

Nul ne conteste que le réel soit en mouvement. Qu’un réalisateur documentaire doit être attentif « aux mutations d’un monde qui bouge ». Raison de plus pour que, dans ses films, sa liberté de regard soit préservée.

Face à la nouvelle « ligne » de France 3 Alsace, il n’y a, dans l’immédiat, qu’une réponse possible : le refus. Une seule attitude : combattre cette ligne pour la faire reculer. La combattre en tant qu’auteurs, réalisateurs, techniciens, au nom de la dignité, de l’éthique et d’un minimum de respect pour le métier que nous exerçons. La combattre au nom du public et de ses droits. Du respect que nous lui portons, de l’intelligence dont nous le créditons. La combattre en tant que citoyens, indignés devant une dénaturation aussi manifeste du service publique.

Questions au président de France Télévision, Patrick De Carolis : Comment une télévision de service publique peut-elle, sans réagir, laisser l’une de ses stations régionales présenter un projet éditorial aussi aberrant ? Est-ce la préfiguration d’une mise au pas générale du documentaire en région ? Un simple dérapage de la nouvelle équipe dirigeante de France 3 Alsace ?


Questions aux pouvoirs publiques, à nos élus locaux :
Que vont devenir les aides financières destinées à la création documentaire et sans lesquelles aucune production ne peut voir le jour ? Le CNC, la Région, La CUS, sont-ils disposés à financer désormais les programmes de flux d’une télévision régionale formatée ?

Qui, en Alsace et au-delà, se mobilisera avec nous pour une télévision de service publique respectueuse des citoyens ? Pour une télévision régionale ouverte, à l’écoute du réel ? Pour une télévision qui réponde aux "défis des mutations" dans un mouvement qui interroge, et pas selon le modèle figé du marketing démagogique ?

Les réalisateurs signataires :

Georges Drion - Sandrine Dumarais - Jean-Michel Dury- Thomas Ermel - Jean-Marie Fawer - Serge Fretto - Vincent Froehly - Anne-Noëlle Gäessler - Martin Graff - Chloé Hunzinger- Robin Hunzinger - Patrice Muller - Roland Muller - Gisèle Rapp-Meichler - Yves Schmitt - Serge Steyer

En Alsace, nous sommes un groupe de réalisateurs qui avons décidé de ne pas se résigner à accepter sans rien dire les grandes manoeuvres qui s’opèrent dans les régions en matière de documentaire. Nous sommes quelque uns à avoir rédigé un texte pour que notre voix se fasse entendre, que notre opposition à la volonté de formatage documentaire tant sur le fond que sur la forme, soit clairement connue. Ce texte sera diffusé dans "La Lettre" de Filmer en Alsace qui paraîtra dans 3 semaines. En attendant, merci de diffuser cette information autour de vous, dans la presse et dans vos réseaux, de réagir en nous adressant un mail à cette adresse ou de nous renvoyer ce texte avec votre signature.

Roland Muller

mulroland@gmail.com


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