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Faire campagne tous ensemble

Par Jacques Bidet, philosophe, professeur à l’université Paris-X (*).

jeudi 1er février 2007

paru dans l’Humanité du 3 février 2007.

La gauche antilibérale est-elle condamnée à une concurrence suicidaire ?


Le nom de Bové est donc lui aussi sorti du chapeau. Et nous voilà avec deux consensus et trois candidats. Quelle surabondance ! Non seulement ils ont le même programme mais chacun de nous pourra choisir celui ou celle qui lui semble capable de le défendre au mieux. Situation totalement inédite, on l’avouera, dans toute l’histoire de la démocratie occidentale !

Ils défendent une gauche de gauche. Ils ne veulent pas être d’un gouvernement social-libéral. Ils ne seront pas non plus prisonniers d’une majorité parlementaire, puisqu’ils ont approuvé, chacun à sa façon il est vrai, un texte en 125 points qui dit sur quelle base ils voteront.

Pas d’euphorie pourtant, car on n’en est pas encore là. Il s’agit déjà de se compter. Et toute la question est de savoir si nous allons ainsi nous diviser ou nous additionner. Ce qui, comme on le sait, conditionne passablement la suite, législative, municipale et sociale.

Les organisations politiques fondées à une autre époque en portent la marque. Cela ne signifie pas qu’il faille les brader. On ne peut recommander aux militants du PCF de briser leur machine. Il y aurait beaucoup à perdre pour tous. L’époque est révolue où il avait assez d’envergure pour rassembler autour de lui. Il a évolué, il est de toutes les luttes, anciennes et nouvelles. Mais la grande entreprise où s’enracinait sa force, son influence sur le monde du travail et une part de sa culture, a été coupée en morceaux, jetée au vent néolibéral. L’ambition de la LCR de remplacer l’ancien parti par un nouveau, pur de toute compromission, ne rencontre qu’un écho limité. Personne n’a le monopole de ceux qui gagnent moins de 1 000 euros par mois : ils se trouvent dispersés dans une infinité de situations sociales diverses. Comment reconstruire l’unité ?

La candidature de José Bové n’apporte pas seulement la part de rêve et de révolte, cette distance minimale sans laquelle les choses les plus évidentes, comme la mort programmée de la planète ou la misère des banlieues, apparaissent comme des choses auxquelles on ne peut que se résigner. Si elle ne se traduit pas en josébovémanie, c’est qu’elle est portée par un contexte dont il faut comprendre le positif.

Le mouvement en sa faveur provient nettement du pôle associatif de l’ensemble antilibéral. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi s’engage-t-on aujourd’hui dans toutes ces associations, syndicats, réseaux, collectifs éphémères sur les terrains les plus divers de l’éducation, de la santé, de l’information, des prisons, du féminisme, de la culture, du handicap, de l’enfance, du sport, de l’écologie, des sans-toit et des sans-papiers, des illettrés et des affamés, pour l’altermondialisme, contre le racisme, l’homophobie ? L’entreprise et la cité d’où ont surgi les partis sont bien sûr toujours les premiers lieux de vie, de solidarité et de lutte sociale. Mais, de plus en plus, dans une complexité sociale croissante et mouvante, chacun relève de multiples transversalités dans laquelle il retrouve son semblable, frappé comme lui, et avec lequel il peut lutter, gagner.

Ce qui est nouveau, masqué sous la désaffection à l’égard du communisme ou du socialisme, c’est que la critique sociale du capitalisme se transfère activement dans tous les pores de la société. Et que tant de gens engagés sur le créneau qui les motive comprennent aussi que leur lutte a des conditions politiques globales. Ils apprécient mal la suffisance des partis. Ce qui fait la politique en dehors des partis, ce ne sont pas seulement des notables, intellectuels ou autres. C’est une militance multiforme et éclairée qui prend conscience d’elle-même comme politique. La lutte contre le capitalisme, ce n’est pas seulement la lutte contre ses causes profondes et générales. Elle n’est rien en dehors de ces combats contre tous ses effets particuliers et divers. José Bové est un bon paradigme de cette nouvelle manière d’être.

Dans ce processus de radicalisation, la « gauche de mouvement » et la « gauche de parti » ont commencé à se reconnaître. L’accueil fait à José Bové ne procède pas forcément d’un enthousiasme unilatéral pour ce militant charismatique. Il est significatif d’une volonté de faire converger le social et le politique de la gauche de gauche vers une symbiose à découvrir. Il exprime un irrépressible désir de rattrapage.

Nous avons tous à réparer une énorme faute. Sans trop nous demander à qui est la faute. Mais plutôt comment transcender cette situation. Nos trois têtes d’affiche que la télévision nous livrera de temps à autre, l’espace d’un instant, d’un slogan, d’un sourire convenu, d’un coup de gueule ou d’un haussement de moustache, seront forcément transformées en icônes concurrentes. La convergence se fera à la base, si nous savons entremêler nos trois campagnes. Avec l’espoir qu’elles s’unissent. Dans une perspective de long terme, mais sans attendre.

(*) Élu apparenté communiste à la municipalité de Nanterre, signataire de l’appel de soutien


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