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L’avenir du cinéma et des intermittents ?

Intervention de Pascale Ferran aux César

Théâtre du Châtelet - 24 février 07

lundi 26 février 2007


Normalement, là à ce moment-là, je devrais partir avec mes copains. Mais, c’est quand même rare qu’on soit tous réunis et je ne résiste pas à vous lire un petit texte que j’ai écris à propos de tout autre chose.

(à l’intention de Valérie Lemercier, maîtresse de cérémonie de la soirée) Ça ne sera pas très long, Valérie.

Nous sommes nombreux dans cette salle à être comédiens, techniciens ou réalisateurs de cinéma. C’est l’alliance de nos forces, de nos talents et de nos singularités qui fabrique chaque film que produit le cinéma français.

Par ailleurs, nous avons un statut commun : nous sommes intermittents du spectacle. Certains d’entre nous sont indemnisés, d’autres non, soit parce qu’ils n’ont pas travaillé suffisamment, soit, à l’inverse, parce que leurs salaires sont trop élevés pour être indemnisés dans les périodes non travaillées.

C’était un statut unique au monde. Pendant longtemps, il était remarquable parce qu’il réussissait, tout en prenant en compte la spécificité de nos métiers, à atténuer un peu, un tout petit peu, la très grande disparité de revenus dans les milieux artistiques. C’était alors un système mutualisé. Il produisait une forme très concrète de solidarité entre les différents acteurs de la chaîne de fabrication d’un film et aussi entre les générations.

Depuis des années, le Medef s’acharne à mettre à mal ce statut en s’attaquant, par tous les moyens possibles, à la philosophie qui a présidé à sa fondation. Aujourd’hui, il y est presque arrivé. De réforme en nouveau protocole, il est arrivé à transformer un système mutualisé en système capitalisé et cela change tout. Cela veut dire, par exemple, que le montant des indemnités n’est plus calculé sur la base de la fonction de son bénéficiaire, mais exclusivement sur le montant de son salaire. Et plus ce salaire est haut, plus haut sera le montant de ses indemnités. Et on en arrive à une absurdité complète du système où, sous couvert de résorber un déficit, on exclut les plus pauvres pour mieux indemniser les plus riches.

Or, au même moment, exactement, à un autre bout de la chaîne de fabrication de films, d’autres causes produisent les mêmes effets. Je veux parler du système de financement des films qui aboutit, d’un côté, à des films de plus en plus riches et, de l’autre, à des films extrêmement pauvres. Cette fracture est récente dans l’histoire du cinéma français.

Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, ceux qu’on appelait les films du milieu (justement parce qu’ils n’étaient ni très riches ni très pauvres), étaient même une sorte de marque de fabrique de ce que le cinéma français produisait de meilleur. Leurs auteurs, de Renoir à François Truffaut, de Jacques Becker à Alain Resnais, avaient la plus haute opinion des spectateurs à qui ils s’adressaient et la plus grande ambition pour l’art cinématographique.

Ils avaient aussi, bon an mal an, les moyens financiers de leurs ambitions.

Or, ce sont ces films-là, ceux là, précisément, que le système de financement actuel et, en premier lieu, les chaînes de télévision s’emploient, très méthodiquement, à faire disparaître.

En assimilant les films à vocation artistique aux films pauvres et les films de divertissement aux films riches, en cloisonnant les deux catégories, en rendant quasi-impossible pour un cinéaste d’aujourd’hui le passage d’une catégorie à une autre, le système actuel trahit l’héritage des plus grands cinéastes français et leur volonté acharnée de ne jamais dissocier création cinématographique, point de vue personnel et adresse au plus grand nombre. Ce faisant, il défait, maille après maille, le goût des spectateurs, alors même que, pendant des décennies, le public français était considéré comme le plus curieux, le plus exigeant et le plus cinéphile du monde.

Ici comme ailleurs, la violence économique commence par tirer vers le bas le goût du public, puis cherche à nous opposer. Elle n’est pas loin d’y arriver.

Les deux systèmes de solidarité, entre les films eux-mêmes et entre ceux qui les font, ces deux systèmes, qui faisaient tenir ensemble le cinéma français, sont au bord de la rupture.

Alors, peut-être est-il temps de nous réveiller.

Peut-être est-il temps de nous dire que notre amour individuel pour le cinéma, aussi puissant soit-il, n’y suffira pas.

Peut-être est-il temps de se battre, très méthodiquement nous aussi, pour refonder des systèmes de solidarité mis à mal et restaurer les conditions de production et de distribution de films qui, tout en donnant à voir la complexité du monde, allient ambition artistique et plaisir du spectacle.

Nous n’y arriverons pas, bien sûr, sans une forme de volonté politique, d’où qu’elle vienne.

Or, sur de tels sujets, force est de constater que celle-ci est désespérément muette.

Mais, rassurons-nous, il reste 55 jours aux candidats à l’élection présidentielle pour oser prononcer le mot culture…

Pascale Ferran


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